V pour Vendetta

(V for Vendetta 1 à 10)
On est en 1995, l’Angleterre vit dans une sorte de reflet néofasciste de 1984 d’Orwell. Soudain, alors qu’un groupe d’agents de la main (l’équivalent de la police) appréhende une jeune femme qui se résigne à la prostitution, prêts à abuser d’elle avant de l’exécuter, une ombre surgit en récitant du Shakespeare. Un couteau, une bombe lacrymo, une cape, un masque de Guy Fawkes et elle part se faufiler sur les toits de Londres avec la jeune survivante. Quelque part, au sommet du Parlement, une bombe explose !
Ce personnage, V, comme on le découvre plus tard, est un esthète, nostalgique d’une culture plus raffinée, oubliée, mais aussi hanté par ces images « de camps de travail » où il fut torturé ! Ce mystérieux V a décidé de remettre quelques pendules à l’heure, d’entamer pour de bon sa propre Vendetta !
V se donne pour mission de se venger de ses anciens tortionnaires, d’une part, mais aussi d’abattre ce gouvernement en s’attaquant à ses symboles les plus importants, à l’image de la Conspiration des poudres de 1605…

Par fredgri, le 20 janvier 2023

Notre avis sur V pour Vendetta

Si cette fameuse collection Urban Nomad s’avère être suffisamment rentable pour continuer l’aventure, qu’elle semble avoir trouvé son public et convaincu quelques réticents, elle ne cesse néanmoins d’intriguer par son format, par ses propositions axées majoritairement vers du vertigo, loin des premières intentions qui prônaient une accessibilité dirigée vers les lecteurs de mangas.
Parmi les propositions les plus attendues il y avait auparavant Watchmen dont on craignait que le lettrage serait trop petit, on avait les mêmes appréhensions pour V pour Vendetta avec son lettrage initialement très petit ! Toutefois, comme avec son prédécesseur, il faut bien admettre que le volume passe bien cette épreuve de la réduction. Ça reste petit, mais c’est gérable sans soucis, même s’il reste des passages qui font froncer les sourcils.
Malgré tout, cette volonté de démocratiser des œuvres fortes comme ces volumes de Moore est en soi une raison suffisante pour jouer le jeu et soutenir cette initiative.

Car V pour Vendetta, c’est un monument, quand bien même aujourd’hui la série évoque davantage aux lecteurs d’aujourd’hui le film avec Nathalie Portman ou le mouvement des Anonymous que la BD dessinée par David Lloyd. On ne leur en voudra pas…

A l’instar des monuments que le scénariste va produire dès le début des années 80, comme Watchmen, From Hell ou encore Lost Girls, "V pour Vendetta" est l’une de ses premières pépites, quand il travaillait pour le magazine anglais Warriors. Influencé par la situation socio-politique de son pays, sous le joug néo-libérale du régime Tatchérien, il nous entraîne dans un monde très sombre, mais terriblement poétique aussi ou l’esprit d’un homme peut être la flamme qui peut ramener la vie et l’espoir !
Le récit est découpé en petits chapitres qui font penser à des comptines et dont tous les titres commencent par V ! (A l’origine, le chapitrage correspondait à la publication en épisode dans Warrior) Il s’installe donc une sorte de rythme cadencé ou Moore s’amuse à jouer avec la symbolique, la musicalité des phrases tandis que la tension des évènements s’accentue pour entrer dans une ronde anarchique pleine de sens au fur et à mesure des années qui passent.
Moore veut dénoncer une période très difficile que traverse son pays, ou les minorités étaient visées par des lois oppressantes, les gays, les étrangers… V est une sorte de constat utopiste, un coup de poing virulent et magistral !

En collant à la figure du justicier, à sa silhouette plutôt, le masque de Guy Fawkes, Moore semble inscrire son discours dans une longue référence à l’histoire de son pays, et plus particulièrement le complots qu’ourdirent Robert Catesby et ses compagnons d’armes pour abattre le roi Jacques Ier en 1605, projetant de dynamiter dans la foulée le Parlement…
V est un homme désintéressé qui veut secourir la populace en espérant ainsi lui construire un monde meilleur. Mais en plus de tout ça, il rajoute une dimension réellement sociale et politique, non seulement V ne veut plus simplement "sauver" les gens, mais il veut leur faire prendre conscience de leur état et les amener à devenir de véritables acteurs de leur société en intervenant. La longue "initiation" d’Evey n’est pas seulement là pour la former, mais surtout pour la faire évoluer vers quelque chose de plus essentiel. V n’est plus un homme, il devient une idée, un concept qui ne forme qu’un avec ce masque, avec cette antre, avec ses secrets, comprendre V c’est devenir V, poursuivre sa leçon et envisager le monde d’une part et nous même d’autre part, d’une toute nouvelle façon.
Cette idée tranche avec les autres traitement du héros que l’on retrouve par-ci par-là, d’ailleurs V n’est pas véritablement un héros, juste le symbole d’un acte, d’une pensée qui agit, il n’est en rien un super-héros, car là n’est pas son propos, il ne s’intéresse pas à sauver la veuve et l’orphelin, il n’est pas non plus un simple héros intéressé par l’appât du gain… Progressivement, il a aussi conscience qu’il devra disparaître pour sa cause, pour que son rêve subsiste, il n’y a pas d’identité secrète, à peine une sorte d’origine qui pourrait éventuellement expliquer tout ça, mais qu’importe, Moore a surtout voulu s’en servir comme d’un vecteur, d’un phare pour un concept plus global.

Le dessin de David Lloyd est particulièrement efficace, tout en ombres et lumière, pratiquement aucun trait de contour, les formes se dessinent presque juste avec les masses de noirs, avec les blancs qui se glissent entre les ombres, c’est magnifique, la version colorisée peut éventuellement gommer le travail de suggestion du dessin, mais je trouve que cela rajoute aussi une sorte d’atmosphère plus ouatée !

Moore fait progressivement monter la pression, l’horreur et l’absurde. Dès ses premières histoires, il fit preuve d’une maitrise éblouissante, incroyable. Cet album fait figure d’œuvre indispensable dans le parcours de ce scénariste hors norme de la Bande Dessinée actuelle, de ce maitre !

9,90€ pour 352 pages, une très belle occasion de redécouvrir ce magnus opus prophétique d’une incroyable puissance.
Vivement recommandé.

Par FredGri, le 20 janvier 2023

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