Interview
Claude ECKEN et Benoît LACOU, auteurs tous azimuts
1907, la longue marche des vignerons du Midi, nouvelle production du tandem Claude Ecken / Benoît Lacou est la bonne occasion qui va nous permettre d’en savoir un peu plus sur ces auteurs trop peu connus.
Sceneario.com : Bonjour Claude et Benoît. Pour la circonstance, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de Sceneario.com ?
Claude Ecken : Je suis un fan de BD et écrivain spécialisé en science-fiction, même s’il m’arrive d’effectuer des incursions dans d’autres mauvais genres, voire pas de genre du tout. Dès le départ, j’ai voulu écrire aussi bien des romans que des scénarios de BD. Il se trouve que j’ai simplement mis un peu plus de temps à travailler dans la BD que dans le roman, même si mon premier scénario publié date de… attendez voir… (Ouille !) 1983 en fanzine et 1985 pour l’édition. Je suis également critique en BD et SF ; mes premiers articles dans les cahiers de la BD datent de 1979.
Benoît Lacou : Je suis dessinateur de BD depuis 2002, et 1907 est le 8ème album que je réalise. Avant 2002, je dessinais aussi, mais plus pour la publicité.
Sceneario.com : Comment s’est effectuée votre rencontre sachant que Benoît est de Bordeaux et Claude vit à Béziers ?
Claude Ecken : Par lettre. Vas-y, Benoît, raconte…
Benoît Lacou : Bordeaux-Béziers…A l’heure d’Internet et des portables c’est vraiment très proche. Sauf qu’à l’époque de notre rencontre, si je me souviens bien, je ne connaissais pas tous ces trucs …alors, c’est vraiment du bol si j’ai croisé Claude Ecken le surfer d’argent du net.
Claude Ecken : Le premier dessinateur prévu par l’éditeur de l’époque a reculé devant l’ampleur de la documentation nécessaire pour raconter Le Diable au port. Mais il connaissait un dessinateur que cet aspect du travail ne rebutait pas, au contraire. Au vu des premiers essais, j’ai su que ce serait Benoît Lacou qui réaliserait cette série… En fait, nous ne nous sommes rencontrés physiquement que vers la fin du premier tome. Avant, les contacts étaient uniquement téléphoniques et épistolaires.
Sceneario.com : Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Claude Ecken : L’inspiration, c’est la rencontre entre une observation et une réflexion, c’est une connaissance nouvelle qui se mêle à un savoir déjà acquis, une friction ou une concaténation d’idées. Ça vous tombe dessus sans crier gare. Bien sûr, en tant qu’auteur de SF, je suis attentif aux derniers développements de la science, mais aussi au monde tel qu’il va ou ne va pas. C’est le socle, le terreau à partir duquel fleurira une idée qui, elle, émane du vécu.
Benoît Lacou : Pour répondre rapidement et sans oublier personne, j’aime bien tous les artistes qui ont du "dessin" entre les mains. Que ce soit des peintres classiques ou des dessinateurs de BD, l’important, c’est la structure de l’image et ça, ça passe par le dessin…quelques noms ? Ok, je vous aurais prévenu : les peintres préhistoriques (tous), les classiques Albretch Dürer, Jérôme Bosch, Pieter Bruegel, William Turner, le Lorrain, Georges de Latour, Hopper, les impressionnistes, Jean Siméon Chardin, Francisco Goya,… (Allez faire un tour dans les musées, la liste sera plus complète)… Les dessinateurs (surtout Anglophones) : Ralph Steadman, Adam, Norman Rockwell, Stenberg, Jean-Jacques Sempe, Victor Hugo etc… J’en oublie ! Les auteurs de BD. Quand, j’avais 9 ans, j’ai découvert "Pilote" et j’ai beaucoup aimé : Mézières, Giraud, Druillet, Boucq, Solé, etc.… Je me débrouillais tous les quinze jours pour trouver les cinq francs me permettant d’acheter Rahan…dieu m’est témoin que je n’ai jamais failli. Dans les auteurs récents : Demetter, Daniel Goossens, Marco, Mike Mignola, Guy Davis,…Je vous ai dit qu’il y en avait des tas… Question suivante, svp ! ^^
Sceneario.com : Vous avez chacun à votre actif des albums faits séparément, dont certains (pour Claude) ont été primés, dans des styles totalement différents. Science-fiction, historique, polar, quel est celui pour lequel vous avez une préférence ? Et pourquoi ?
Claude Ecken : Demanderiez-vous à une mère de famille lequel de ses enfants elle préfère ? J’ai toujours du mal à répondre à ces questions qui me donnent l’impression de renier mes autres écrits. En BD, j’aime bien Le Diable au port, car il a fallu reconstruire un monde et que le XVIIIe siècle est une période passionnante que j’ai envie de continuer à creuser. En littérature, c’est plus difficile à cerner. Auditions coupables, peut-être, car la mécanique de ce délire obsessionnel fonctionne bien et que j’ai bien campé la psychologie de mes personnages, La Fin du big bang à coup sûr, pour l’imbrication et la relation entre les éléments scientifiques et humains dans la narration.
Benoît Lacou : Claude a eu des prix pour des albums ? Ah bon ? Il a dû coucher… Moi mon préféré, c’est le prochain… parce qu’il reste à faire ! (Bidon, la réponse !)
Sceneario.com : Souhaiteriez-vous vous tester sur d’autres voies ?
Claude Ecken : Je suis toujours prêt à m’engager dans de nouvelles aventures. J’aime me lancer de nouveaux défis, m’attaquer à ce que je n’ai pas encore tenté. Ça ne m’intéresse pas de recommencer ce que je sais faire, même si je le maîtrise. Si j’ai l’impression de me répéter, je m’ennuie. L’essentiel, c’est d’avancer, d’apprendre et se perfectionner.
Benoît Lacou : Tout à fait !
Sceneario.com : Pour ce qui est de 1907, album sorti après Murel (science-fiction), est-ce que la transition n’a pas été trop difficile pour vous deux ? Qui a eu l’idée de traiter de cette gronde historique des vignerons du midi ?
Claude Ecken : L’éditeur Alain d’Amato avait ce projet en tête. Nous l’avons accepté à partir du moment où nous avons réalisé le parti artistique que nous pouvions en tirer. La transition n’est pas difficile mais, au contraire, créatrice : on a l’impression de s’évader et de tester dans un registre différent des techniques apprises ailleurs.
Benoît Lacou : Claude avait l’histoire à écrire, moi j’étais entre deux Murel, je lui ai donc proposé de dessiner l’album…Vu que l’on se connaît bien, ça a bien fonctionné…Après, dessiner des Murel ou des vignerons… Ca reste du dessin.
Sceneario.com : Quelles ont été les méthodes employées pour faire aboutir votre projet historique ? Avez-vous bénéficié d’aide extérieure ?
Claude Ecken : Quand je m’empare d’un sujet historique, je cherche d’abord à réunir le maximum de documentation possible, en allant de préférence à la source et en refusant de me contenter des ouvrages écrits sur le sujet. C’est un travail long et exigeant, mais j’ai l’habitude de fouiller dans les archives ; j’ai un peu étudié la paléographie, ce qui me permet de lire les écritures jusqu’aux environs du XIV ou Xve siècle. L’Internet a grandement facilité les recherches. Je ne néglige pas pour autant les spécialistes susceptibles de m’aider dans mes recherches ou qui présentent en tout cas le grand avantage de les accélérer en m’indiquant d’emblée les pistes à suivre. Dans le cas de 1907, j’ai pu m’adresser à Jean Sagnes, historien auteur de plusieurs ouvrages sur la question, et que je tiens à remercier encore une fois. La documentation accumulée, il faut la digérer, et chercher ensuite l’histoire dans l’Histoire, celle susceptible de servir au mieux le projet.
Benoît Lacou : L’iconographie sur la révolte est très fournie. Surtout en cartes postales…Claude avait réuni assez de documentation.
Sceneario.com : A priori, votre association semble être bénéfique. Avez-vous d’autres projets en commun (mise à part la suite de la série du monde de Murel) ou séparément ?
Claude Ecken : Nous avons tous les deux des projets communs et séparés. Outre les Murel, nous comptons bien reprendre et achever la série du Diable au port, qui conte la peste de Marseille et de Provence en 1720. J’ai sinon, en projet, un "noir" avec Cédric Debard, une enquête, vingt ans après les faits, sur un adolescent meurtrier et un autre, historique, avec Bruno Loth qui contera les expéditions de La Condamine au Pérou et de Maupertuis en Laponie pour déterminer la forme de la Terre, une histoire dingue et éprouvante qui sera aussi contée sur un mode humoristique. J’ai d’autres projets à des stades moins avancés qu’il n’est pas utile d’évoquer ici.
Benoît Lacou : Pour les Murel, c’est sûr… J’avais quelques projets avant de rencontrer Claude et que j’aimerais pousser plus loin (maintenant que j’ai acquis un savoir faire), il y a aussi des rencontres et des propositions qui se multiplient… peut-être des séries à plusieurs mains… Il y a aussi le projet de trouver un nouvel éditeur pour notre série Le diable au port… Bref, beaucoup d’idées en suspens.
Sceneario.com : Claude, quelle place accordes-tu à la BD par rapport au roman dans ton temps de travail ? As-tu des préférences quant à l’écriture des romans ou des scénarii de BD ?
Claude Ecken : Le temps de la documentation est égal, voire supérieur car il me faut aussi effectuer des recherches iconographiques. L’écriture de la BD est certes plus rapide. Je passe plus de temps à écrire de la littérature. Mais je n’ai pas de préférences : j’aime bien changer, passer à la BD me repose du roman et inversement.
Sceneario.com : Et y a-t-il des ouvrages que tu as réalisés qui ont remporté un franc succès et que tu aimerais adapter en BD ?
Claude Ecken : Mes succès littéraires me paraissent difficilement adaptables. Par moi en tout cas. En général, mes récits reposent sur des réflexions sociales ou des considérations scientifiques peu visuelles : l’idée y provoque davantage le vertige que le spectacle. Il y a moins d’action que d’effets de suspense reposant sur la psychologie. Cela nécessite davantage de travail pour une traduction en images, un travail que je n’aimerais pas faire mais que je laisserais volontiers à un tiers. En revanche, j’aimerais développer en BD des histoires originales tirés de mes univers romanesques.
Sceneario.com : Benoît, quelles sont les techniques que tu utilises pour effectuer tes dessins (pour Murel et 1907) ? As-tu un rythme de travail régulier qui te permet de programmer bien à l’avance ta production ?
Benoît Lacou : C’est une technique classique, dessin encrage et mise en couleur sur des feuilles "Vinci". La couleur est faite avec des encres acryliques .Pour 1907, j’ai utilisé du papier "Monval", pour aquarelle. Tous les jours, je vais travailler dans mon atelier, la régularité permet d’avancer, elle est indispensable.
Sceneario.com : Qui a décidé dans Murel l’apparence des "Mureliens" ? Apprécies-tu les grandes oreilles et les yeux globuleux ?
Benoît Lacou : Les "Murels" sont nés d’une commande qu’a reçu Claude en 2001 d’un journal de SF qui cherchait des auteurs de BD. Ce mensuel s’appelait K.O.G.. Claude m’a soumis le texte du premier épisode, 12 pages couleur… J’avais un mois pour le dessiner. L’idée de base, c’était de s’inspirer de photos de lémuriens et d’en faire des anthropoïdes. En 2001, ils avaient déjà les yeux globuleux, mais des oreilles plus sages et moins expressives. J’ai toujours continué à dessiner les "Murels" de mon côté, de 2001 à 2005 pour en faire un album…Leur évolution graphique nous paraissait alors très satisfaisante. J’avais aussi développé le côté visuel du monde Murel, toujours sous le contrôle avisé de Claude.
Sceneario.com : Pour le monde de Murel, est-ce que la façon dont est géré ce monde extraterrestre relève d’un idéal pour vous ?
Claude Ecken : La perfection n’existe pas. L’idéal n’est que le sentiment d’y tendre. La société murelle peu nous paraître idéale, en surface, dans son fonctionnement. Mais outre le fait que tout environnement familier nous paraît banal, voire insipide, car c’est celui que nous avons toujours connu, les contraintes que nous imposent une société, quelle qu’elle soit, nous pèsent d’une façon ou d’une autre. Je tente de développer quelques uns de ces aspects dans le tome deux, sans trop m’appesantir au détriment de l’action. Quand il existe un consensus fort autour d’une société, on se trouve marginalisé au moindre écart. Bien sûr, l’argent n’existe pas et tout le monde est logé à la même enseigne sur Murel, mais cela signifie que l’oisif s’attire rapidement de l’opprobre de son entourage, de même que l’individu qui bâcle son travail et laisse aux autres le soin de réparer les dégâts, que la tolérance envers les mauvais sujets est minimale et donc qu’on se surveille beaucoup ou qu’on ressent parfois fortement le poids du regard d’autrui. Plus grandes sont les libertés, plus rigides sont les cadres qui les délimitent : c’est le paradoxe qui est souvent, sur notre planète, à la base de bien des conflits. Je ne dirai donc pas que Murel est un monde idéal, car s’il est plus agréable que le nôtre, il est aussi plus contraignant.
Benoît Lacou : J’avoue que les Murels me gonflent un peu… Ils sont trop parfaits, leur univers est très chaleureux et très coloré… Ils sont physiquement beaux et en bonne santé… J’ai un peu poussé Claude pour qu’il leur trouve quelques défauts. Je me méfie des mondes idéaux. On voulait aussi opposer deux civilisations. Les humains, avec leurs couleurs ternes dénotent sur les Murels toujours fringants.
Sceneario.com : Avez-vous déjà eu l’occasion de consulter le site de Sceneario.com et quel est votre avis sur ce site en tant qu’auteurs ?
Claude Ecken : Oui, j’ai déjà eu l’occasion de le visiter. J’apprécie la tablette de couvertures permettant de repérer immédiatement les nouveautés. C’est mieux que des listes par auteur ou séries. Je me méfie des coups de cœur, car les lecteurs peuvent manipuler les votes ; on sait qu’aux États-Unis, les lecteurs donnant leur avis enthousiaste sur un site marchand étaient des auteurs sous pseudonyme, qui parfois dénigraient le voisin qui lui faisait de l’ombre. J’aime bien les dossiers, surtout les carnets de croquis qui permettent d’entrevoir, parfois mieux que la réalisation finale, le travail d’un auteur. Même s’il est encore incomplet, du fait de sa jeunesse, je le trouve agréable à parcourir. Bonne continuation en tout cas !
Benoît Lacou : Pas sympa comme question, On me demande de répondre rapidement à une interview et paf, la question qui tue…Je vous jure que j’irai faire un tour sur le site dès que j’ai fini avec vos questions. ^^ Bien à vous !
Bonus : Pour la petite histoire, il est bon de préciser que cette interview a été réalisée dans des conditions de stress optimales comme le prouve la photo ci-contre