ACME NOVELTY LIBRARY
Lint

En 72 pages, nous suivons la vie, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, de Jordan Wellington Lint. Que ce soit au travers son expérience d’enfant de parents séparés, son rapport à sa sexualité, à l’amour, à la vie de famille…

Par fredgri, le 21 mars 2011

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Notre avis sur ACME NOVELTY LIBRARY #20 – Lint

Chaque lecture d’un numéro de Acme Novelty Library est une expérience en soi. Chris Ware continue d’explorer le medium, de trouver des moyens pour raconter de façon différente ses histoires en ayant une réflexion sur la forme qui est à mille lieux de ce qui se fait autre part !

Ce vingtième volume peut se lire tout seul, en effet il raconte la vie d’un personnage jusque là jamais rencontré dans Acme. C’est le moyen pour Ware de parler de son époque, de morceler une vie en 72 petits chapitres (chaque page est une étape. Au début, Ware raconte les années successives, puis progressivement fait des bonds en avant pour se concentrer sur les étapes les plus "parlantes") en se concentrant à la fois sur des petits détails, sur des regards, mais en sachant rester synthétique aussi. C’est une très grande leçon d’écriture qu’il nous donne là. Car même si chaque page a son langage, sa construction propre, il y a une lecture d’ensemble, un rythme graphique qui transcende le tout.
Malgré cette construction en étape, Ware arrive à développer un sens des vides, de l’hésitation, tout en rendant son personnage principal très humain, voir même parfois détestable de par son attitude par-ci par-là. C’est toute la science de cet auteur qui sait à la perfection explorer l’âme humaine dans la grande tradition des post-modernes. L’ambiguïté des émotions, la complexité des pulsions… De plus, il n’amène pas de discours intellectualisant, son "héros" ne pense qu’à deux ou trois trucs, le cul, les filles et faire ce qu’il veut… Ensuite il doit évidemment se plier aux contraintes sociales et familiales et donc, il doit évoluer vers quelque chose de plus "rangé". Malgré tout il garde une très grande part d’irresponsabilité qui l’oblige à régulièrement abandonner les siens pour les beaux yeux d’une inconnue, par exemple.

Alors y a-t il réellement une morale la dedans ? je ne pense pas. Chris Ware explore ces individus en marge qui constituent une certaine partie de la société, des gens qui sont autour de nous, qui sont peut-être nous, en fait ! Il n’y a pas profondément de jugement dans ce regard, en tout cas pas de jugement pour en tirer des leçons, juste pour appuyer une certaine médiocrité du vide, un certain appel, comme si ce prof d’Art qui regarde ses élèves, et plus particulièrement Jordan, c’était Ware lui même, qui se laisse aller à imaginer la vie de ce jeune homme avant cette heure de court et cette vie qui suivra. Une nature morte qui provoque l’imagination. Cet homme qui regarde ce jeune homme en imaginant sa vie, c’est l’essence même de l’Art de Ware qui tente de comprendre la vie d’un quidam et l’évolution qui pourrait y avoir ensuite…

Lire cet ACME 20 n’est certainement pas le moment le plus gai que j’ai eu depuis longtemps, en effet, c’est assez désillusionné et la fin fait grincer les dents. Ware n’essaie pas de vernir cette vie, peut-être force-t il trop certains aspects d’autodestruction et du coup, ne provoque aucune empathie vis à vis de le Jordan. Néanmoins, ces 72 pages sont passionnantes à lire. Une BD sans concession, avec une personnalité sans égale !

Si vous ne connaissez pas Chris Ware il serait temps de vous lancer (en plus c’est très abordable pour un lecteur anglophobe, ne vous inquiétez pas !
Très très conseillé !

Par FredGri, le 21 mars 2011

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