Alicia Prima Ballerina Assoluta

A New-York, le 2 novembre 1943, à la suite de la défection d’Alicia Markova, la jeune danseuse Alicia Alonso est désignée pour la remplacer dans Giselle. Son interprétation est telle qu’elle subjugue le public et la propulse immédiatement au rang mondial. Evidemment, ses grandes aptitudes ont le privilège de s’être développées dans l’école de danse dont sa mère était directrice à La Havane.

En septembre 2011, également à La Havane, Amanda se rend avec Josefina, sa mère, à son premier cours de danse à l’institut du Paseo del Prado. Elle bénéficie d’un enseignement rigoureux issu des techniques mises au point par Alicia Alonso et son mari Fernando. De son côté, Manuela, jeune métisse amie et collègue de Josefina qui n’a pu devenir danseuse classique, fait des extras dans un cabaret pour subvenir aux besoins de son fils et de sa mère dans un pays autoritaire à l’économie ravagée.

Par phibes, le 10 mai 2021

Notre avis sur Alicia Prima Ballerina Assoluta

Après son documentaire Horizontes plusieurs fois primé sorti en 2015, qui était dédié à Alicia Alonso, la reine des ballets cubains et l’une des plus grandes étoiles de la danse classique, Eileen Hofer fait son entrée dans l’univers de la bande dessinée. Ainsi, profitant de sa grande expertise sur ce sujet et sur l’île de Cuba, elle nous propose un roman graphique qui a l’avantage de se nourrir de son expérience journalistique.

Pour ce faire, l’autrice a décidé de nous entraîner dans trois destinées différentes (Alicia, Amanda et Manuela), trois parcours distincts qui, dans ce récit, vont se croiser sous le couvert d’une discipline partagée. La première est celle qui va servir de cadre effectif puisqu’elle se rapport à un personnage réel qui a fait, à partir de 1943, la gloire cubaine (Alicia Alonso) et également, sa base de formation pour les futures danseuses. Les deux autres nous permettent de découvrir deux personnages fictifs aux âges différents dans des tranches de vie qui, non seulement, se nourrissent de la danse mais aussi qui se veulent une véritable radiographie du système social et politique dans lequel elles vivent.

Malgré des enchaînements parfois un peu malaisés qui cassent le rythme de lecture, on reste tout de même suspendu à cette évocation émouvante qui a la particularité de se décliner sur cinq positions de pied. En effet, elle nous ouvre assez furtivement et bien efficacement l’intimité de la danseuse étoile (Alicia Alonso), sa jeunesse, sa consécration et puis le culte pérenne qu’elle a établi. Allant de pair avec la religion, celui-ci rejoint toutefois la politique nationale au point d’en devenir un instrument d’endoctrinement, ce qu’Eileen Hofer traduit habilement. Amanda et Manuela sont là pour camper les difficultés pour être danseuses et aussi planter le décor après Batista, à savoir le contemporain postrévolutionnaire de cette République castriste, avec ses restrictions, son marché noir, sa ferveur religieuse, sa politique propagandiste, son idéal et ses désillusions…

Le travail graphique de toute beauté réalisé par Mayalen Goust se veut un réel appui au récit. En effet, l’artiste joue subtilement la carte de l’élégance, d’un esthétisme doucereux (la colorisation y est pour quelque chose) qui donne effectivement envie de plonger dans cet univers superbement peaufiné. Les décors cubains font l’objet d’une belle recherche et les personnages bénéficient d’une humanité attirante, d’une expressivité qui renforce avec justesse leurs attitudes, même les plus chorégraphiées.

Une évocation historico-fictive qui honore la danse classique et l’une de ses illustres représentantes (Alicia Alonso décédée en 2019), et qui, par la même occasion, met le doigt sur une idéologie d’oppression.

Par Phibes, le 10 mai 2021

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