Asterios Polyp

Asterios Polyp est un architecte très réputé qui pratique beaucoup plus la théorie que la pratique. A ce jour, aucune construction n’est sortie de ses plans. Néanmoins, il jouit d’une renommée internationale, grâce, notamment, à ses écrits et aux cours qu’il a donné.
L’histoire commence alors qu’il est seul dans son luxueux appartement, à ruminer son passé. Soudain, un éclair vient illuminer le ciel et la foudre vient frapper son immeuble, provoquant un incendie et poussant Asterios à sortir précipitamment (il a juste le temps de saisir deux ou trois objets et de l’argent) pour regarder, ensuite, le feu ravager, entre autre, son appartement.
Bien décidé à saisir ce signe du destin, il prend le premier bus qui passe et descend à la dernière station qui lui est permis. Le voilà donc à Apogee, ou il se fait engager comme mécano…

Par fredgri, le 25 juin 2010

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Notre avis sur Asterios Polyp

Immobile devant mon écran et mon clavier, j’avoue qu’écrire un avis sur Asterios Polyp m’intimide. On n’est pas, ici, face à une énième aventure d’Heroic Fantasy, ni même devant un polar mille et une fois écrit. Non, ici, il s’agit du tout nouveau David Mazzucchelli.

Un rapide rappel pour vous resituer cet artiste. Mazzucchelli s’est fait un nom en commençant dans les comics Marvel, et plus particulièrement en dessinant un fantastique run sur Daredevil, ainsi que quatre fabuleux numéros de Batman. Mais bien au delà de ces quelques comics, Mazzucchelli s’est surtout fait connaître par son intégrité. Alors qu’il est au sommet de sa gloire, adulé de tous et promis à un avenir glorieux au sein de Marvel et DC, il décide de tout arrêter, pour entièrement se consacrer aux Indés. Dorénavant, il se tournera vers une production plus confidentielle, mais plus fidèle à ses convictions. Il reste, à ce jour l’un des très rares exemples de reconversion aussi extrême (on peut citer aussi des gens comme Wallace Wood, par exemple). Cette nouvelle direction dans sa carrière le consacrera définitivement comme génie de la BD internationale. Impression confirmée par ses trois « Rubber Blanket », par son adaptation de « La cité de verre » de Auster, et maintenant par ce monumental Asterios Polyp.

Je ne vais pas proposer d’analyse ultra poussée, car beaucoup l’ont déjà fait avant moi, et certainement bien mieux, d’ailleurs. Non, je vais avant tout vous parler d’un album que je viens de lire, d’un album qui m’a procuré beaucoup de plaisir, tout simplement.
Malgré tout, il est vrai qu’Asterios Polyp n’est pas seulement un album de BD, tant le propos est ambitieux, qu’il va bien plus loin que ce qui peut transparaître dans le résumé. Mazzucchelli raconte, tout d’abord, deux histoires principales en même temps. Dans le présent, nous suivons Asterios suite à l’incendie, qui se retrouve à Apogee, qui rencontre la famille et les amis de son patron Stiff Major, qui refait doucement sa vie en repartant à zéro. Puis, a l’aide de flash-back, il nous est raconté certaines bribes du passé d’Asterios, son enfance, ses rapports avec les autres, la rencontre avec sa femme Hanna. Mais aussi le rapport qu’il entretient depuis sa naissance avec son jumeau décédé, après quelques jours de vie…
A travers ce récit, Mazzucchelli dépeint le portrait d’un homme et le fondement de sa pensée, des diverses théories qu’il a construit sur les formes, la vie, la communication et la façon qu’ont les gens de percevoir la réalité de manière très différente les uns des autres. Car, en effet, Asterios est un homme de l’esprit, un esprit très brillant, érudit, qui pousse tellement loin sa réflexion sur le monde et son fonctionnement qu’il n’arrive plus à regarder les gens autour de lui, sans tenir une position hautaine, limite méprisante. Progressivement, nous voyons donc son couple se construire, douter et finalement se détruire.
Le premier Asterios, celui d’avant l’incendie, est un homme qui se coupe des autres et de la vie, au fur et à mesure. Il ne vit que dans le monde de l’intellect, ses théories sont grandiose et passionnantes, mais il ne sait plus regarder la femme qui l’aime. Il peut expliquer le fonctionnement des opposés, du vide, du plein, mais n’arrive plus a simplement tourner les yeux autour de lui. On se rend compte aussi que ce frère qui n’est qu’une vague présence, qui se présente comme le narrateur, qui se serait appelé Ignazio, en fait, est la formulation même de cette dualité qui occupe toute la pensée d’Asterios, toutes ses théories. Est-ce que l’existence fictive de ce frère ne serait, en soi, pas un prétexte pour Asterios ? Ignazio devenant le corps fantasmé, tandis que Asterios demeure l’esprit pur. La coupure qui s’est opérée jadis aurait donc bloqué Asterios dans son accomplissement…
L’incendie se présenterait donc comme une sorte de renaissance qui pourrait permettre à Asterios d’aboutir à son « Apogée » (d’où le jeu de mot avec le nom de la ville ou il « échoue »). Un état ou il pourrait réellement ne plus être qu’un, vivre, travailler physiquement, se faire des amis sincères et mettre un peu de côté toutes ces théories pompeuses.

Alors oui, Mazzucchelli nous sort tout un tas de belles théories, toutes plus passionnantes les unes que les autres, mais on a vraiment le sentiment qu’elles ne sont qu’une sorte de vernis, finalement, pour bien appuyer sur le personnage qu’était Asterios avant. Un homme convaincu que chacun possède une présence, un regard bien à lui, et qu’en tant que tel on ne peut réellement être influencé par tout ceux qui nous entourent (théorie très intéressante qui ira se contredire dans la partie au présent). Pour appuyer son propos, Mazzucchelli adapte à chaque personnage un lettrage très particulier, allant, parfois même, jusqu’à carrément donner un style graphique différent pour tous. Il joue aussi sur la forme des cases, sur la respiration dans la page, il joue sur les ambiances colorées et pousse même le vice jusqu’à se limiter dans la représentation de ses personnages, Asterios ne possède qu’un profil, de même que les autres. On est ici, devant une représentation très minimaliste, peu de décor, la plupart du temps il s’agit de bichromie, voir de trichromie et c’est tout. Mais, Mazzucchelli maîtrise tellement sa narration, ses cadrages, que même avec ce postulat, il arrive à imprégner ses planches d’une incroyable sensibilité. C’est très très adroit.

Alors, vous l’avez compris, cet « album » est un vrai tour de force. 344 pages qui se lisent d’une traite, très accessible, malgré tout. Depuis sa sortie aux États Unis en Juillet 2009, il est devenu l’une des œuvres les plus acclamées du moment, commençant déjà à récolter des prix et plus particulièrement le grand Prix ACBD en 2011 avec cette édition en VF chez Casterman.
Mazzucchelli revient donc en pleine forme et signe ici un Graphic Novel qui marque déjà l’histoire de la BD par sa virtuosité.
Très vivement conseillé.

Par FredGri, le 25 juin 2010

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