COLONNE (LA)
Un esprit blanc

Souley se tient la seul adossé à un mur, en plein désert, le poids de la guerre, de ce sang… Nous sommes en 1899, la dernière expédition française au Tchad qui essaime les cadavres sur son chemin… Souley parle à cet esprit qui décide de lui raconter une dernière fois l’histoire du capitaine Boulet, de son ami le lieutenant Lemoine, de leur projet de monter une expédition en Afrique, leur arrivée au Sénégal, l’enrôlement de Souley lui même en tant qu’auxiliaire, le départ vers le Mali… Il fallait avancer, la France avait besoin de bras, il y avait des enjeux coloniaux et tant pis si les tribus croisées ne sont pas coopératives… Il y a les fusils…

Par fredgri, le 2 juillet 2013

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2 avis sur COLONNE (LA) #1 – Un esprit blanc

Ce premier album revient sur la fameuse mission Voulet-Chanoine, une expédition française qui entreprit la conquête coloniale du Tchad en janvier 1899, par le capitaine Paul Voulet et le capitaine Julien Chanoine. Une expédition qui se fit surtout connaître par les très nombreux massacres ordonnés par ces soldats français et exécutés par les auxiliaires africains parfois trop zélés !

Ainsi le ton est donné dès les premières pages ou Souley, un auxiliaire, reste là à garder le corps de Boulet qui vient d’être fusillé, bientôt rejoint par Lemoine… Un esprit (qui semble représenter la colonne, cette force impérialiste qui avance, coute que coute) s’approche alors de lui, bien décidé à faire le point sur le récit. Mais très vite, cette intervention va surtout permettre de revenir en arrière, de voir comment ce projet va réussir à faire son bonhomme de chemin, comment les uns et les autres vont finir par se croiser.
C’est intéressant, car même si le procédé en lui même n’apporte pas vraiment grand chose, il amène tout de même un décalage avec la folie qui va vite accompagner l’expédition. Cet esprit devenant le narrateur, portant son regard sur l’histoire que nous lisons, prenant en quelque sorte à parti le lecteur, jaugeant ces hommes entraînés dans les tumultes de l’Histoire. Il se moque sans hésiter, déformant ainsi une certaine objectivité du récit…

Mais le scénario force délibérément le côté grand-guignolesque du récit, appuyant volontairement l’absurdité de cet esprit colonialiste, les préjugés et la bêtise de cette armée française qui ne considère les noirs guère supérieurs à ses chiens ! L’accent est vraiment mis sur cette outrageante discrimination qui va être à la base de cette histoire. La société française est donc montrée sous des dehors aristocratiques, mondains, concernés uniquement par le prestige de la France, par le terrain à ne pas perdre sur les anglais, sur les allemands. Un prestige qui irradie, devant lequel doivent se plier les chefs de tribus qui vont se trouver sur le chemin de la colonne ! Mais progressivement, on sent bien que la farce déraille, que les enjeux aveuglent les gradés, les amenant à faire glisser l’expédition vers une dramatique succession de tueries sans nom ! D’un côté on a des "blancs" complètement indifférents à la situation, d’un autre on a des soldats noirs emportés par cette liberté qui leur est donnée, carte blanche aux pires exactions !

Le scénario jongle donc avec toutes ces tensions, portant un regard incisif sur les évènements tout en rythmant l’intrigue principale comme s’il s’agissait d’une sorte de guignolade cynique et cruelle.
Toutefois, Dabitch a aussi tendance à vider de toute expressivité les personnages noirs de l’histoire, ce qui a pour résultat d’amplifier l’expressivité et la gestuelle des blancs. C’est donc quelque peu dommage que ces auxiliaires ne prennent pas davantage parti dans l’histoire, qu’il n’ai guère la parole (même Souley se contente la plupart du temps d’écouter). Malgré tout, le graphisme de Dumontheuil rattrape largement le coup en imprégnant chaque case d’une vie débordante. C’est très coloré, extrêmement dynamique, tout en laissant ce qu’il faut de place pour que les décors puissent exister, nous transporter nous aussi ! Magnifique travail !

Ce premier volume n’est donc, avant tout, qu’une mise en bouche avant ce qui se profile ensuite, néanmoins on est déjà marqué par la violence mise en scène qui monte crescendo.

Un album qui ne laisse pas indifférent…

Par FredGri, le 2 juillet 2013

L’album s’ouvre sur une planche au découpage en gaufrier 3 par 4. Les deux premières cases dévoilent des vautours perchés sur les branches d’un arbre mort, en fond un ciel d’un gris brumeux couleur de limbes. Case 3, un des vautours se pose sur le sol. Case 4, c’est par lui en suivant sa tête au premier plan que l’on découvre au second un homme assis contre un muret de pierre seul vestige d’une construction détruite. L’homme est seul, pour unique compagnon trône son fusil à ses côtés. Case 6, le gros plan sur son visage nous montre qu’il a les yeux clos, pourtant à la case suivante l’homme tend son bras vers son fusil comme pour tirer sur le vautour qui lui fait face. Case 7, les vautours s’envolent. Case 8, retour sur un plan séré de l’homme, une main est apparue à ses côtés. Case 10, après avoir semble-t-il tenté de toucher le corps gisant à côté de lui, l’homme regarde sa main. Une voix apparaît, l’homme se prénomme Souley. Sommes-nous dans la tête de Souley ?, dans l’antichambre des enfers ? Difficile à dire, mais une chose est sûre, le récit s’ouvre avec des accents de conte philosophique. Idée que vient rapidement renforcer le propriétaire de la voix off. Cette voix est celle d’un esprit. Un esprit blanc, l’esprit de la colonne, né sur les trottoirs de Paris comme il le dit. Pourtant cet esprit arbore les traits d’un « esprit africain », se serait-il peu à peu métamorphosé au contact des autochtones ?… Les officiers commandant la colonne sont morts, l’esprit commence à s’effacer… A lui seul l’esprit de la colonne semble incarner la colonisation en elle-même. En cela un premier point de divergence avec l’avis de Fredgri voit le jour. A mon sens l’esprit n’est pas ironique mais accompagne pleinement le parcours des colons. Comme il le dit lui-même : « je suis plus proche de Boulet au fond » (p. 27), Boulet le petit gros sanguin parfait reflet contraire physique et moral de son acolyte Lemoine (nous y reviendrons).

Jean-Denis Pendax (Abdallahi, Jéronimus), Benjamin Flao (La Ligne de fuite, Mauvais garçons), et à présent Nicolas Dumontheuil, à l’évidence Dabitch porte en haute estime la partie graphique d’une bande dessinée et s’entoure donc de dessinateurs à la personnalité forte. L’un des talents de Dabitch est son grand sens de l’écriture, j’en veux pour preuve la voix de l’esprit de la colonne : commentaire off, dialogues et dessins se complètent mutuellement quand de trop nombreuses fois les voix off moulinent dans le vide ne faisant que répéter ce que les dessins illustrent déjà. De même les dessins de Dumontheuil font partie intégrante de la narration et renferment plusieurs clés du récit, en-cela ils ne sont jamais relégués au rang de plates illustrations.

Incontestablement Dabitch maîtrise son sujet et parvient, par le tour de force de son dispositif narratif coupant court à la linéarité du récit, à retranscrire le visage de la société française coloniale sans aucun didactisme. A la lecture de ce premier volet, le lecteur est en mesure d’en dresser le portrait avec ses éléments centraux tels la prostitution, les pillages, les exécutions sommaires mais aussi les difficultés rencontrées dans des régions inconnues. Les plus attentifs des lecteurs noteront également la présence de détails historiques (on peut citer en exemple la conférence à la société coloniale ou encore l’utilisation d’un bateau à vapeur pour naviguer sur un fleuve témoin de la révolution industrielle à laquelle la citation de Ferry en p. 30 fait référence). Rigoureux dans sa trame historique, le scénario accueille sans mal la fantaisie de Nicolas Dumontheuil.
En accord avec la dimension du conte Dabitch opte pour des personnages bien caractérisés. Hauts en couleur, au sens propre comme au figuré, le traitement des personnages tend vers un certain expressionnisme. Les couleurs chatoyantes et très sûres de Dumontheuil lui-même soulignent les expressions exagérés des personnages. Leur corps parle pour eux. Petit gros au visage rougeau, les yeux écarquillés et les dents serrées, agitant les bras dans tous les sens (son cadavre est étendu les bras en croix), Boulet ne respire pas l’intelligence. Petite frappe sans envergure cherchant dans la conquête coloniale un tremplin pour asseoir sa carrière militaire, Lemoine l’est aussi, mais dans un esprit que l’on pressent beaucoup plus retors que son comparse. Avec son physique élancé, son visage fin et ses cheveux blond, on pense irrémédiablement au capitaine Lawrence.

Une grande bande dessinée ! Assurément un must à posséder d’urgence !

Par melville, le 3 juillet 2013

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