COME HOME, INDIO

Dans l’Amérique des années 70-80, l’enfance et le parcours cabossé de Jim Terry qui n’arrive pas à trouver sa place entre son père, jazzman d’origine irlandaise et sa mère, amérindienne, née dans une réserve, tous deux alcooliques et incapables de s’occuper de leurs enfants.

Par Luc Brunschwig, le 22 octobre 2022

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2 avis sur COME HOME, INDIO

 En tant que lecteur ou en tant que directeur de collection (je l’ai été il y a une grosse dizaine d’année), on rêve tous de tomber sur cette pépite, cette histoire jaillie de nulle part, menée de main de maître par un parfait inconnu, qui va nous laisser le cœur battant, avec la conviction d’avoir croisé un OVNI. Mais soyons honnête, les génies méconnus, ces trésors artistiques qui sommeilleraient au fond d’une malle n’existent, la plupart du temps, que dans nos rêves.
Et puis, Mickaël Gereaume, le directeur éditorial de Komics Initiative, m’a mis COME HOME, INDIO entre les mains (il voulait mon avis) et dès la première page, j’ai su que je tenais là quelque chose d’exceptionnel (oui, ça y est, le mot est lancé).
Et pourtant, croyez-moi, je ne suis pas fan des autobiographies (rares sont les vies qui méritent selon moi d’être racontée, encore moins par ceux qui l’ont directement vécue), mais quand un auteur à un parcours de vie si riche, si cabossé, si en permanence bousculé par sa double culture à la fois blanche et amérindienne, par une famille dysfonctionnelle et alcoolique, par ses propres choix de vie (c’est un neerd, passionné de cinéma populaire et de bande dessinée, ce qui le place déjà à part dans la société), on écoute, on apprend, on se laisse bousculer et on vibre…
On se passionne d’autant plus fort que Jim Terry a un talent rare de conteur. Alors que son existence pourrait nous sembler très éloignée de la nôtre, il sait au contraire, invoquer ces émotions de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge adulte, ces terreurs inexplicables, ces passions infinies, ces amours magnifiques et ces amitiés héroïques, qui nous permettent de le comprendre et d’entrer en résonnance avec lui (c’est sans doute la première fois que l’alcoolisme des amérindiens, n’est pas juste une idée caricaturale, mais fait pleinement sens et devient compréhensible et palpable).
Ajoutez à tout ça, un sens parfait de la rythmique, de l’imbrication des petites histoires dans la grande, une vraie créativité dans certains choix narratifs, illustrez tout ça avec un dessin plein de justesse et de maitrise, quelque part entre Will Eisner, Carlos Gimenez et Joe Kubert, complétez le tout avec un talent salvateur pour garder la juste distance et ne pas rendre cette tragédie insupportable, mais vraiment addictive et intense, et vous obtenez la meilleure BD que j’ai eu la chance de lire depuis longtemps.
Avec pour finir, une furieuse envie de faire découvrir ce mystérieux chef d’œuvre à tout le monde.
(Le livre est financé mais peut être précommandé pendant encore une dizaine de jours en allant sur le lien suivant : https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/come-home-indio)

Par Luc Brunschwig, le 22 octobre 2022

Commandé suite à une recommandation de Luc Brunschwig sur les réseaux sociaux (il en signe la préface), ce roman graphique renferme une humanité que seuls savent conter ceux qui ont affronté les pires affres de l’existence.

L’existence de Terry avait pourtant démarré de manière douillette dans une banlieue de Chicago. Jusqu’à ce que son demi-frère, le premier fils de sa mère, décède d’une leucémie. Cette mère amérindienne, curieuse de BD, de cinéma et de livres, s’enfonce dans l’alcool tandis que son père, américain d’origine irlandaise, jazzman de son état, s’absente de plus en plus souvent de la maison.

Timoré entre deux cultures, mi-indien, mi-américain, Jim Terry grandit avec le sentiment d’être coupé en deux. Sans identité définie, entre une culture d’assassins et une autre qui lui échappe en partie, il n’arrive pas à trouver sa place. Un soir d’été de son adolescence, il plonge dans l’alcool. Il ne s’en relèvera que des années plus tard au bout d’un long et fastidieux processus.

Entre-temps, il sera passé par tout un tas d’étapes sordides, à la limite de la perte de soi quand sa relation aux autres s’avérait explosive, empreinte de souffrances, de violences subie et exercée, hantée d’un abyssal manque affectif. Jim ne nous fait grâce d’aucune épreuve.

Il livre dans Come Home Indio l’histoire de sa vie sans concession, sans complaisance à son égard, avec une authenticité rare, une mise à nue implacable tout en réussissant à garder un voile de pudeur. C’est à se demander où il trouve la force de se raconter, de revivre pareils moments de perdition, à remonter à la surface des remugles de souvenirs pénibles, des regrets pesant plusieurs tonnes tout en réussissant à doser humour et prise de recul.

D’autant que cette biographie, ancrée dans notre époque de désillusion, est engagée. Elle balaie quatre ou cinq décennies de la fin des années 70 aux années 2010, entremêle petite et grande histoire, prend parti, interroge la politique et l’arrivée à la Maison-Blanche du cataclysmique président Trump. Elle parle aussi du parcours d’un dessinateur de BD, Jim Terry ayant travaillé sur The Crow, Vampirella ou encore pour la revue Heavy Metal.

Est-ce la proximité du trait avec celui d’un Will Eisner, est-ce la voie qu’il réussit à tracer, est-ce le courage et la force qu’il a puisé dans le combat contre l’alcool ou est-ce la flamme qu’il a allumé dans sa croisade contre l’oléoduc traversant une réserve indienne dans le Dakota du Sud ? Est-ce un peu tout cela et la magie d’avoir dompté l’encre sur le papier ? Lorsque le lecteur referme le livre et retourne à ses occupations, pour sûr, il emmène un peu de Jim Terry avec lui.

Par Geoffrey, le 6 novembre 2023

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