Dans l'antre de la folie
En 1887, à New York, une jeune femme intègre la pension de Mme Stanard. Très vite, son comportement vis-à-vis de sa logeuse et des autres pensionnaires laisse à penser qu’elle n’a pas toute sa tête. Se nommant Nellie Brown, elle trouble la quiétude des lieux et finit par se retrouver bientôt entre les mains de la police urbaine. Après être passée devant un juge, elle est envoyée à l’hôpital Bellevue. Durant son bref séjour, elle rencontre médecins, hommes sinistrement entreprenants et autres femmes connaissant les mêmes vicissitudes et se voit condamnée à être internée à Blackwell, l’île des indigents sans le sou. Qui est donc Nellie Brown et quel est son secret ? Ne serait-ce pas Nellie Bly, journaliste d’investigations, qui, sous une folie feinte, enquête sur les conditions d’internement des femmes à l’asile ?
Par phibes, le 29 mars 2021
-
Scénariste :
-
dessinateur :
-
Coloriste :
-
Éditeur :
-
-
Sortie :
-
ISBN :
9782344033463
Notre avis sur Dans l’antre de la folie
Au sein du 9ème art, Elizabeth Jane Cochrane, surnommée Nellie Bly, initiatrice du journalisme d’investigation, a déjà été mise à l’honneur depuis ces dernières années. En effet, après un encart en 2017 dans la série Culottées (tome 2) de Pénélope Bagieu, ce personnage charismatique, véritable icône féminin engagé dans l’art de l’émancipation et de la dénonciation des dérives de la société américaine de la fin du 19ème siècle, s’est vu mis en valeur deux fois en 2020 (au travers d’un one-shot réalisé par le duo italien Luciana Cimino et Sergio Algozzino chez Stenkis et du tome 2 dans la série Pionnières de Nicolas Jarry et Guillaume Tavernie chez Soleil). Aujourd’hui, c’est au tour de Glénat de mettre en avant un récit complet sur celle-ci porté par Virginie Ollagnier et Carole Maurel.
Afin de caractériser ce fameux personnage, les auteurs ont pris parti de se focaliser sur l’enquête que la jeune journaliste (âgée tout juste de 23 ans) a réalisé pour le compte du journal New York World sur les conditions d’internement de femmes dans les structures psychiatriques newyorkaises. Traitée comme un roman et se rattachant à une documentation particulièrement riche issue de l’ouvrage écrit par l’investigatrice (Dix jours à l’asile), cette évocation permet de découvrir le mode opératoire de cette journaliste qui n’a pas hésité à s’immerger dans le système pour en dénoncer les dérives.
Force est de constater que cet album, si on ne connaît pas le personnage, a toutes les qualités requises pour le découvrir et par son biais, de soulever une problématique ô combien effarante concernant les conditions d’accueil et de soins des femmes « aliénées » de cette époque. Sous le couvert d’une belle simplicité narrative, Virginie Ollagnier nous place dans l’ombre de la courageuse Nellie Bly, et en spectateur privilégié, nous dévoile, et son passé via de larges flash-back, et le parcours douloureux mené par celle-ci très investie dans ses recherches. Nombreux sont les témoignages relevés, les rencontres évoquées, les souffrances soulevées dans cette antre de la folie, dans cette prison pour femmes en détresse, qui dénotent que l’institution médicale concernée n’avait rien d’une sinécure et à ce titre, la scénariste nous glace le sang avec justesse et fluidité.
Il va de soi que le travail réalisé par Carole Maurel accompagne superbement les intentions de la scénariste. A cet égard, au vu des nombreuses esquisses annexées en fin d’ouvrage qui trahisse une gros travail de recherches, la dessinatrice démontre une réelle maturité picturale dans le sens que son trait semi-réaliste joue très brillamment sur les ambiances « folles », nous entraînant parfois dans des dérives cauchemardesques à la Lovecraft particulièrement bien tentées. Certes, la douceur graphique associée à une belle colorisation, n’estompe pas la douleur ambiante mais attise une réelle empathie vis-à-vis du personnage principal et de ses « codétenues ». Elle conforte à juste titre le caractère de Nellie, son engagement inébranlable à dénoncer le mauvais traitement de ces femmes, les conditions inhumaines dans lesquelles elles sont « soignées » et suscite avec habileté de nombreuses émotions…
Un biopic superbement réalisé qui produit ses effets et nous enseigne avec efficacité sur la pionnière d’enquête journalistique clandestine à l’origine d’une longue lignée d’émules.
Par Phibes, le 29 mars 2021
Publicité