Dans la peau de Tintin
Hergé n’aimait pas le sang ; il ne voulait en tout cas pas le faire couler dans les histoires qu’il imaginait. Et en effet… au cours de ses nombreuses aventures, Tintin n’aura saigné en tout et pour tout qu’une seule fois, dans Le lotus bleu. Sur la base de ce constat, on peut donc affirmer sans trop se risquer que Tintin a un corps de super héros, sinon d’immortel : il a enchaîné acrobaties, mauvais traitements, chutes, accidents et autres cascades, mais jamais il ne s’est véritablement blessé. Et les rares fois où il a été admis à l’hôpital, c’était pour en ressortir très rapidement, toujours à la surprise du personnel médical !
Hergé ne s’est pas toujours raconté à travers le personnage de Tintin simplement parce qu’il ne l’a pas maîtrisé à 100%, et notamment au tout début. Mais lorsqu’il a pris plus personnellement en main le destin de son héros de papier, il lui a insufflé beaucoup de lui-même tout en en faisant un personnage que rien ne pouvait atteindre : un personnage carapacé, protégé, au contraire de lui qui a connu d’importants traumatismes. C’est la thèse que présente l’auteur de cet ouvrage, Jean-Marie Apostolidès, qui s’appuie sur les périodes les plus difficiles de la biographie de Hergé pour décrypter d’une nouvelle manière les aventures de Tintin.
Par sylvestre, le 1 octobre 2010
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Scénariste :
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Éditeur :
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Collection s :
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Univers :
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Sortie :
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ISBN :
9782874490989
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Notre avis sur Dans la peau de Tintin
Le champ lexical de l’ouvrage est au départ celui de l’aspect, du corps, du physique et de l’habit, et l’auteur convoque autant qu’il peut la peau et la rare nudité de Tintin, mais aussi les vêtements et les tissus que le reporter bien connu a portés, qu’ils aient été faits de peaux de bêtes ou qu’ils aient été de durs scaphandres ou d’autres combinaisons en tous genres… Oui, Dans la peau de Tintin démarre avec ce qui se voit, avec ce que tout le monde peut aller vérifier dans les pages des albums des aventures de Tintin. Puis, de chapitre en chapitre, le physique est délaissé pour passer aux aspects plus psychologiques et aux non-dits de cette peau dont il est question ; une peau qui est ici envisagée plus comme une armure, comme une carapace, comme une protection… Georges Remi a en effet connu quelques traumatismes de taille, et on peut comprendre qu’il ait voulu à la fois protéger son "fils" puisque lui-même n’a pas toujours été protégé, et à la fois révéler de sa personne, fut-ce à travers un héros de bandes dessinées qui est lui, justement et par opposition, inatteignable, insubmersible, solide.
Très vite, l’auteur Jean-Marie Apostolidès nous présente l’incontournable abbé Norbert Wallez, mentor de Hergé et étincelle de l’allumage de l’univers Tintin ; incontournable personnage qui a énormément compté (pesé) dans la vie de Hergé et qui a fortement influencé les trois premières aventures de Tintin : Au pays des Soviets, au Congo et en Amérique… Et au fil des pages, les parents et les proches les plus importants dans la vie de Georges Remi nous sont également présentés et leur rôle auprès de Hergé analysé.
On peut dire de Jean-Marie Apostolidès que pour son livre, il a tout assombri. Il a en effet voulu prendre la biographie de Georges Remi "du côté sombre" et y a dessiné des pistes qu’il nous fait suivre ensuite. Il est même allé jusqu’à qualifier de hantée la maison de Hergé, c’est vous dire si dans sa "dissection", il n’a rien oublié : chaque indice, chaque élément, il l’a retourné dans tous les sens et ce, pour en tirer… du sens, justement !
Alors oui, c’est parfois un peu tiré par les cheveux. Oui, il y a dans le nombre quelques vues de l’esprit qu’on laissera à Jean-Marie Apostolidès, comme cette complète page 218, par exemple, tout au long de laquelle il fait des suppositions quant à un prénom (celui de la première femme de Georges Remi) usité par ce dernier "en verlan" dans un courrier ! Ce genre d’insistance dans la quête d’indices lassera alors peut-être les moins passionnés des lecteurs tant cela relève du registre du délire, mais dès que le délire est tintinophile, il est justifié pour ceux qui se réclament de cette engeance et le principal est… qu’on se prend au jeu !
Quelques photo jalonnent les pages, et elles sont en majorité plutôt de simples illustrations (provenant de collections privées) que des documents étudiés. Par contre, outre les albums de la série des aventures de Tintin sur lesquelles l’essai s’appuie, de nombreuses références à d’autres études de tintinophilie et de nombreuses correspondances rédigées par et pour Hergé sont utilisées par l’auteur pour illustrer son propos. On en viendrait presque à se dire que Hergé a laissé énormément d’indices… comme s’il avait souhaité que tant d’intérêt soit porté à son œuvre alors que de son vivant, il semblait plutôt penser que l’effet Tintin ne durerait pas plus de quelques années après son décès ! Les détails relevant des bandes dessinées signées par Hergé vers lesquels le lecteur est renvoyé sont naturellement une bonne chose : la lecture de Dans la peau de Tintin est ainsi dynamisée, active : on a envie de revoir ces détails dans les albums, et ça marche : on le fait !
Certains exemples donnés renvoient à d’autres livres, d’autres articles ou d’autres études, mais Jean-Marie Apostolidès ne s’étend pas toujours dessus, jugeant que son travail ne doit pas être qu’un simple écho à ce que d’autres ont découvert, imaginé ou compris. Certains exemples sont par bonheur un peu plus abordés dans le détail, et on aimera ainsi par exemple se faire conter une fois de plus – dans les grandes lignes – la belle et dramatique histoire du désormais éternel Jean Taussat…
Oui, Dans la peau de Tintin déborde d’exemples et d’anecdotes rendant la lecture captivante. Jean-Marie Apostolidès profite en effet de tout ce sur quoi il peut se baser, et il n’hésite pas, par exemple, à aller outre Tintin pour son analyse en revenant à l’occasion vers Jo et Zette, cette autre série de Hergé dans laquelle il trouve moult indices pour étayer sa thèse. Il propose également des "relectures d’extraits d’albums", expliquant à sa sauce certains enchaînements de vignettes et offrant ainsi aux tintinophiles de retrouver "autrement" (de manière littéraire) des séquences qu’ils connaissent très bien, mais en images.
Biographie de Georges Remi, œuvre de Hergé des Soviets à l’Alph’Art, amères logorrhées finales envers les ayant-droit, l’éventail est large qui a inspiré l’auteur de Dans la peau de Tintin… Lire ce livre des éditions Les Impressions Nouvelles rappelle au passage, et en en citant plein, le nombre d’écrits qui ont été produits sur le mythe Tintin, et il n’y a pas photo : celui-là à son tour procure le bonheur de revenir vers l’univers de Tintin et donne franchement envie d’en lire encore et encore sur le sujet !
Par Sylvestre, le 1 octobre 2010
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