Enquête ethno-graphique
En cette fin d’année 2006, sur les coups de 19h, alors que des voitures sont vandalisées à proximité, trois ados de couleur attendent dans un abribus. Une voiture de police de la BAC finit par s’arrêter à leur niveau. Trois policiers en sortent pour demander leurs papiers. Les réponses ne leur satisfaisant pas, les policiers engagent une fouille au corps suivie d’une recherche d’identité. D’autres agents s’ajoutent à l’interpellation qui devient moins cordiale jusqu’au point où les trois jeunes sont emmenés de force au commissariat avec promesse d’une garde à vue de 24 heures.
Là, ils subissent interrogatoire, pression, moquerie jusqu’à ce qu’ils soient relâchés au petit matin. Cette scène semblable à bien d’autres a été relevée par l’anthropologue Didier Fassin, entre 2005 et 2007, alors qu’il menait une enquête sur la police et son interaction avec le public de la banlieue parisienne. Cette dernière a donné lieu, en 2011, à la publication d’un ouvrage fort, mettant dans la balance la dérive des politiques sécuritaires. Aujourd’hui, afin de sensibiliser un plus grand nombre, l’auteur a décidé de publier ses investigations en bande dessinée.
Par phibes, le 20 novembre 2020
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Genre s :
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ISBN :
9782413012955
Notre avis sur Enquête ethno-graphique
Quelques neuf années après son livre qui restituait le produit de son enquête ethnographique réalisée durant pratiquement quinze mois au sein d’un commissariat de la banlieue parisienne, Didier Fassin s’est engagé à réécrire son sujet en le traitant dans un autre format, celui de la bande dessinée. Pour cela, il s’est associé à Frédéric Debomy, scénariste du 9ème art et auteur de nombreuses enquêtes illustrées sur la Birmanie telles la dernière Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes bouddhistes, et également Jake Raynal, dessinateur de nombreux documentaires tels La septième arme.
Composé d’une centaine de planches, l’on peut considérer que les coscénaristes ont dû faire de sacrées coupes dans l’ouvrage originel de 400 pages et passer sous silence nombres de témoignages, d’informations cruciales… Malgré tout, l’on concèdera que le message illustré proposé se suffit à lui-même pour bien nous faire comprendre que le lien social entre la police (la BAC en particulier) et les habitants des quartiers populaires est on ne peut plus dégradé par la violence dont peut être à l’origine les forces de l’ordre.
A travers de nombreuses déclarations, d’évocations de faits qui ont alimenté douloureusement la une des quotidiens (affaire Traoré et les émeutes qui ont suivi en 2005 à Clichy-sous-Bois ou les révoltes en 2007 à Villiers-le-Bel), le récit mis en place se veut, sans parti pris, une radiographie implacable et saisissante d’une interaction policière qui se meut dans un racisme, dans un non-respect de la personne de toute origine, dans une violence, et ce en toute impunité, réellement consternants. Loin de se décliner en un ouvrage technico-social réservé aux spécialistes des sciences sociales, le message ainsi délivré, adapté pour être lu par les profanes, se veut suffisamment clair pour saisir tout le sens de cette vérité inique (insoupçonnée pour celui qui se trouve loin de ces quartiers populaires).
Ce documentaire a le privilège d’être illustré par Jake Raynal qui nous livre une partition graphique bien inspirée par des photographies triées sur le volet. Tout en restant dans une épure volontaire, l’artiste retrace plutôt froidement les témoignages, les lieux, les faits, sans rentrer dans un détail absolu qui pourrait traduire une sorte de neutralité.
Sous le couvert d’un titre on ne peut plus suggestif, voici un documentaire captivant sur une analyse accablante qui reste, malheureusement, plus que jamais d’actualité.
Par Phibes, le 20 novembre 2020