Et que se taisent les vagues. Chili - La traversée

Dans le Chili des années 1970, s’engager dans l’armée était un moyen de quitter la pauvreté de son foyer et c’est dans cet objectif que le jeune Luis Ayala a candidaté à l’école des mousses et y a été accepté à l’âge de 15 ans.

A bord de l’Esmeralda ou du O’Higgins, il a vite mesuré le fossé qui existait entre les gars comme lui et les officiers. Plutôt que des instructeurs, ces derniers étaient de véritables tortionnaires persuadés que leurs origines sociales leur donnaient naturellement le droit d’être plus qu’ignobles envers les militaires du rang.

Une haine pour leurs officiers s’est ainsi développée dans les rangs des mousses de plusieurs bâtiments de la marine nationale chilienne et c’est la politique qui a fini d’en faire des ennemis jurés, les officiers fomentant un coup d’état quand les mousses tentaient eux, avec le peu de marge de manœuvre dont ils disposaient, de soutenir depuis leurs entreponts leur président Salvador Allende.

Par sylvestre, le 26 décembre 2024

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Notre avis sur Et que se taisent les vagues. Chili – La traversée

Cette bande dessinée commence comme une biographie, mettant en images l’enfance heureuse d’un gamin chilien pourtant né dans une famille modeste. Le propos y est tenu à hauteur d’enfant ; un enfant qui a de bons souvenirs de chouettes moments passés aux côtés d’un grand-père présent et aimant. Puis, en quelques pages, on arrive rapidement à l’adolescence dudit gamin et là, on change de braquet : du mode biographie, on passe au format docu-BD, accompagnant dans leurs premiers jours sous les drapeaux de nouvelles recrues de la marine nationale chilienne.

On les suit tout d’abord dans une série d’entraînements très durs physiquement. Trop durs, même. Et parfois à la limite de l’homicide sadique ! Il s’agit pourtant de volontaires… De jeunes hommes qui ont voulu embrasser un idéal. Mais les choses ne sont pas si simples et en suivant de très près ces jeunes « victimes de leur hiérarchie », on souffre avec eux et on développe nous aussi au fil des pages une réelle aversion pour leurs officiers esclavagistes. On se met aussi à mieux cerner certains mécanismes et on comprend mieux également le contexte et les enjeux ; la guerre des classes au sein d’un même ensemble, les tensions, et – dès lors qu’il y a un camp à choisir – les idées et les actions divergentes, les menaces de part et d’autre, etc…

Dans ce récit, on assiste à la naissance d’un mouvement de contestation pro-gouvernementale et en même temps à l’échafaudage d’un coup d’état ; vus des deux bords mais principalement du côté des opprimés. Comme les personnages évoluent « sur des bateaux », on se dit alors que ce à quoi on assiste n’est peut-être pas représentatif de ce qui se passe à l’échelle du pays tout entier. Et pourtant… On apprendra que sur d’autres navires des mouvements similaires ont germé. Et qu’ailleurs dans le pays la contestation s’est mise à gronder aussi. Comme quoi plusieurs feux peuvent s’allumer au même moment à différents endroits à la fois.

Il faut dire que le Chili nous est dépeint comme un pays à la stabilité politique fragile et perméable aux influences d’états plus forts. Que ses élites ont longtemps agi en toute impunité et en ont profité au détriment du peuple, un peuple majoritairement très pauvre et maintenu dans cette condition.

Et que se taisent les vagues est un gros pavé de lecture (de 320 pages en noir et blanc) qui nous éclaire sur les événements ayant conduit à l’assassinat de Salvador Allende. En partant du microcosme des jeunes mousses puis en élargissant le cadre, les auteurs Désirée et Alain Frappier exploitent les archives chiliennes et les nombreux témoignages d’activistes qu’ils ont pu recueillir sur cette période troublée, faisant de cette bande dessinée un documentaire impressionnant par sa qualité et par son sérieux. Le dessin y est peut-être un peu plus critiquable du fait que de nombreuses vignettes semblent avoir été composées à partir de photographies (on est plus, semble-t-il, dans la retouche que dans la création) mais l’ambition du projet étant évidemment documentaire plutôt qu’à visée visuellement spectaculaire, on n’en tiendra pas longtemps compte.

Cette lecture est oppressante puis dense ; pleine d’informations, d’explications, de révélations. Elle nous raconte l’histoire d’un pays que l’on n’étudie généralement pas « à fond » en France. Elle rend enfin un grand hommage à tous ces jeunes gens courageux (dont les noms sont listés en annexe) qui, malgré des risques dont ils ont eu un aperçu au cours de leurs classes militaires, n’ont pas flanché et ont livré leur combat.

Par Sylvestre, le 26 décembre 2024

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