Faut-il brûler Tintin ?

 
Tintin au tribunal ? Tintin et Hergé jugés ? Ca ne sera pas la première fois, mais là le titre est radical ! Et le dessin signé Stanislas donne des frissons dans le dos, faisant penser à la fois aux autodafés de 1933 ou (du fait de la tenue des membres de la secte Kih-Oskh) aux lugubres "barbecues" du Ku Klux Klan !

Les passions et les ressentis dans les deux camps sont-ils si forts que cela pour que la menace soit si claire et la méthode proposée ?! Quoi qu’il en soit, rassurez-vous, nous sommes entre gens civilisés et cet ouvrage est tout sauf un pamphlet haineux ou disproportionnellement véhément. Il est composé de deux parties : l’une qui liste et analyse de manière éclairée des éléments plutôt "à charge" intitulée Tintin doit-il disparaître ?, et l’autre usant de mots et d’idées qu’on prêterait plutôt à la défense : Peut-on sauver Tintin ?
 

Par sylvestre, le 12 mars 2023

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Notre avis sur Faut-il brûler Tintin ?

 
Si jugement et défense de Tintin il peut y avoir, c’est que les gens n’accueillent pas tous ses Aventures de la même manière. Et ce pour différentes raisons. Au début de la première partie de ce livre et dans ses dernières lignes, l’auteur Renaud Nattiez propose avec des mots justes sa certitude que les gens qui découvrent Tintin "sur le tard" (adultes ayant loupé le coche ou enfants du XXIème siècle) ne peuvent forcément pas avoir le même regard sur l’œuvre hergéenne que les enfants qui ont grandi avec des émotions créées par la lecture des Aventures

Comme lui, je compte parmi les seconds. Comme lui, c’est enfant que j’ai lu mes premiers Tintin et c’est donc vrai : j’ai été marqué par des visuels, par des situations, mais je n’ai pas su voir certaines choses. Mea culpa. C’est un coup à s’en vouloir, ça ! Même si je me désolais pour ces pauvres antilopes ou ce pauvre rhinocéros, comment n’ai-je pas pu percevoir que (par exemple) Tintin au Congo avait de tels accents colonialistes, malsainement paternalistes, voire racistes ? Aujourd’hui, oui, je suis bien plus mal à l’aise avec tout ça, mais je pense être assez intelligent pour comprendre que l’album est sorti à une certaine époque, et dans un certain contexte… Coluche aussi, en "sort" encore, post mortem, à la radio, des blagues qui ne sont plus exactement politiquement correctes de nos jours ! Antoine de Saint-Exupéry aussi, renvoyait les femmes à la cuisine ! Quid d’anciennes pubs que les féministes feraient censurer aujourd’hui quand rien n’était à signaler à l’époque de leur sortie ? Et je passe sur d’autres (et des pourquoi pas bien pires) comme Daniel Cohn-Bendit et son fameux passage dans l’émission Apostrophes… Bref, tout ça pour dire qu’on ne peut pas brûler tout le monde. Et qu’on a tous, j’en suis persuadé, commis dans notre vie des erreurs qui pourraient nous promettre nous aussi aux flammes de l’enfer… Fin de la parenthèse.

Le texte de Renaud Nattiez est très agréable à lire et ses paragraphes assez courts, ce qui permet de gérer confortablement son rythme de lecture : c’est souvent qu’on peut glisser son marque-page et faire une pause ou éteindre pour la nuit sans rester au milieu d’un trop long pavé de texte. Quant aux illustrations, elles sont nombreuses et c’est bienvenu. Elles sont le plus souvent "fort à propos", parfois bien amusantes et il est à noter que la légende de certaines a été conçue comme un prolongement du texte qu’elles aèrent.

Dans la première partie, Tintin (et Hergé aussi, à l’occasion, par le jeu des éclaboussures…) est présenté de manière négative et rien ne lui est épargné : il est surfait, marginal, réactionnaire, antisémite, raciste, misogyne, bien peu sensible à l’écologie ou au bien-être animal… Il n’est pas drôle, est trop moralisateur, ne règle que des problèmes qui touchent à son petit monde, se ramollit… Bref, le voilà habillé pour l’hiver ! Et tout ça malgré les efforts qu’il a toujours faits pendant ses aventures, qui ont pourtant toujours conduit à ce que in fine le Bien triomphe sur le Mal ! Ainsi, même le fait qu’il puisse être parfait serait devenu une tare. A se demander si ses détracteurs ne pourraient pas, eux, avoir comme casserole la jalousie !?

De nombreux exemples bien sûr sont donnés pour documenter toutes ces assertions, et, plus qu’une simple liste élaborée, la première partie s’interroge aussi sur le rôle de certaines de ces faiblesses dont on peut accuser Tintin. Pour n’en survoler qu’une, on pourrait par exemple dire que si Tintin n’est pas un super-héros puisque toutes ses tares font de lui quelqu’un de bien banal, en définitive, c’est bien cette normalité aussi qui fait que des lecteurs par millions ont pu s’identifier à lui ! Et de là à trouver des qualités à ses défauts, il n’y a qu’un pas vers une seconde partie de ce Faut-il brûler Tintin ? où le regard sur l’œuvre est bien plus indulgent…

Dans cette seconde partie ne sont pas détricotées les unes après les autres les accusations lues auparavant. Non. On y repart plutôt pour un long et intéressant exposé de faits, de remarques, d’observations, etc, qui parlent de l’œuvre "en 23 albums et demi" en zoomant sur des aspects choisis de l’œuvre : sa formule dramaturgique et l’évolution de la structure de ses récits… La géographie dans les Aventures, qu’elle soit réelle, imaginaire ou à la limite entre les deux… Le niveau de langage des différents personnages, aussi… Ou l’étude de tous ces personnages secondaires qui font de Tintin une riche "comédie humaine".

On sera surpris de n’avoir peut-être jamais détecté que Mrs Snowball revenait autant ! On ne s’appesantira pas sur l’erreur de Renaud Nattiez quand il confond et qu’il écrit que c’est un daim qui attaquait un puma dans Tintin en Amérique et non l’inverse, on applaudira la démarche journalistique et le "scoop" qu’il est allé chercher en obtenant un entretien avec Dawa Tharkay… On se régalera de retrouver vite-fait – ici classifiée – la palette des jurons de Haddock ("Athlète complet !") et on trouvera bonnes les propositions de l’auteur qui s’est amusé à inventer ce qu’auraient été les insultes du Capitaine à notre époque !

Bref, Faut-il brûler Tintin ? est un nouveau bain de mots dans lequel vous aimerez plonger. Et au bout duquel vous verrez que, contrairement à certains livres dont les titres posent une question et vous laissent décider par vous-mêmes, la réponse à la question est donnée !

Pour ma part, je répondrais que non, qu’il n’y a pas besoin de brûler Tintin. Car l’œuvre de Hergé finira je pense par tomber toute seule dans l’oubli. Comme les œuvres de Molière, de Mozart, par exemple… Et tant d’autres, encore, parfois plus vieilles, mais qui ne perdent rien pour attendre ! 😉 Hihihi !

PS : C’est aux éditions Sépia qu’est paru ce livre. Dans la collection 1000 sabords, nouveau nom de la collection Zoom sur Hergé.
 

Par Sylvestre, le 12 mars 2023

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