Filles Perdues

Trois femmes, Alice, Dorothée et Wendy, se rencontrent dans un atypique et luxueux hôtel. Devenues amies, et maîtresses, elles commencent à se livrer à la plus grande débauche sexuelle. Elles découvrent qu’elles ont toutes trois un point commun : petites, leurs vies ont été bouleversées par leur découverte de la sexualité autour de laquelle elles se sont créé un univers fantasmagorique.
Dans le havre de paix où elles logent, elles se livrent à la plus basse dépravation sexuelle, mais le contexte géopolitique risque bien de tout briser…

Par VincentB, le 1 janvier 2001

2 avis sur Filles Perdues

Quand Alan Moore aborde un thème ou un genre, on le devine bien avant d’ouvrir la moindre page, il en explore déjà les fondements, ce qui le définit et surtout le potentiel qu’il peut offrir. Moore est un maître, et en tant que tel chaque choix n’est jamais gratuit, ou tout du moins peut cacher un sens bien particulier.

L’histoire de Lost Girls remonte à un peu moins de 20 ans quand Moore et gebbie se rencontrent à l’occasion d’une commande, une petite histoire de 8 pages à livrer pour un magazine jamais sorti, de fil en aiguille le projet prend de l’ampleur et très vite il apparait que 8 pages ne seront pas suffisantes. En Novembre 1995 et Février 1996 sortiront deux numéros contenant chacun 3 chapitres, ainsi que des études et autres illustrations inédites à ce jour.

le contenu apparaît tout de suite très chaud mais aussi assez cérébral, dans le sens ou les 3 héroïnes discutent de leur expériences, se libèrent progressivement et commencent à entrer dans une autre phase de leur existence.
Car Lost Girls, bien avant d’être simplement un ouvrage pornographique, est avant tout un livre sur l’initiation, sur la découverte et sur la transformation. Alice, l’ainée va ainsi entraîner ses deux autres amies à davantage se libérer et expérimenter toutes les possibilités qui leur sont offertes.
Rapidement, Lost Girls propose un très large panel d’actes sexuels, comme si, pour se libérer, il fallait tout essayer sans retenu… Ce qui donne à l’ensemble une impression de surenchère qui culmine avec la troisième partie ou tous se sautent les uns sur les autres, se lèchent, se culbutent sans davantage distinguer qui est qui. On tombe vite dans la grande démonstration avec tout ce qu’il peut y avoir d’excessif en laissant derrière le côté purement humain de ces trois héroïnes qui, pourtant, avaient bien développer un regard bien à elles dès le début.
Lost Girls se découpe donc en trois "livres" (format original, trois gros albums rassemblés dans un coffret), le ton monte progressivement, de la simple confidence coquine on arrive à un libertinage plus libéré et sans tabou, puis on finit avec des scènes orgiaques sans aucune limite. A partir de cette construction en escalier Moore explore les trois œuvres à la base de ce projet, il les décortique, en extrait la symbolique sexuel (on a longtemps disserté sur le contenu sous-tendu d’Alice, par exemple) et en propose une nouvelle lecture, transformant ainsi ces "innocentes" lectures en véritable plongée dans le fantasme de l’enfance, les inconnu, les jeunes hommes, les galipettes dans la grange ou dans le parc, les fêtes lesbiennes etc. on trouve déjà tout ce qui va être exploré plus tard dans les pages de cet album. Moore rajoute à ça une "étude" du genre plus vaste, ainsi il pastiche les vieux écrits libertins, les revues qu’on se passait sous le manteau, contenant une pornographie complètement débridée. Ce qui permet déjà de se rendre compte que cette histoire avec ces trois personnages n’est peut-être qu’un vague prétexte, que tout intègre un ensemble plus profond, une sorte de quête initiatique permettant d’analyser les moeurs, les pratiques, de montrer la voie vers une sorte de libération des idées, comme pour désacraliser l’idée qu’on se fait du corps et de ces pratiques.
Mais ce qui est important aussi c’est de se rendre compte aussi que Lost Girls est avant tout un ouvrage vu par des femmes qui s’adresse principalement aux femmes, je veux dire que jusqu’ici la pornographie s’adressait majoritairement à un spectateur masculin, avec tout ce qui suit comme fantasme sur la femme véhiculé par une sorte de machisme dominant. Ici, on reste dans ce cercle, cette trinité féminine qui tient les rênes de ses obsessions et qui veut en découvrir d’autres. Gebbie a beaucoup fréquenté les milieux lesbiens (ses premières oeuvres ont été publiées dans des publications homo) et elle a souhaité que cet album s’adresse avant tout à un public féminin, ne serait-ce que pour trancher avec la dominance masculine du milieu. Avec cette nouvelle optique Lost Girls prend aussi un nouveau visage, plus intime encore, presque plus précieux et sincère.
L’époque ou se déroulent les évènements est une période de grands changement sociaux et culturels, le monde se transforme, il s’abstrait d’un tas de vieux principes pour entrer dans un age moderne intense ou foisonnent les idées, ou les barrière s’abattent mais surtout ou la guerre pointe le bout du nez. Ainsi, en parallèle à ces bouleversements, Alice, Wendy et Dottie se retrouve en 1913, dans ce palace et se métamorphose pour se libérer de ces carcasses qui les retiennent depuis ces livres, elles sont adultes maintenant et nous allons découvrir quelles femmes elles ont pu devenir.
Moore a touché pratiquement tout les genres et il s’est chaque fois servi de ces règles pour les extrapoler et proposer un travail très poussé qui va bien souvent au delà du genre, vers quelques chose de profondément humain (que ce soit V pour Vendetta, From hell ou Watchmen, il explore un regard sur le monde, la destinée d’hommes en marge d’une société); Peut-être se sert il trop, à un moment donné dans Lost Girls, de ces questionnements pour entrer dans de la démonstration trop "démonstrative" justement, que le sens perd du terrain pour juste devenir des scènes de fornication gratuite et expiatoire, toujours est-il que le lecteur devient vite un banal spectateur qui ne peut qu’essayer de compter les jambes, les bites et les bouches qui se croisent et décroisent au grès des pages, d’autant qu’on a droit aussi à toute une série de pastiche réellement très hard et que dans cette logique de tout explorer, les sujets plus délicats comme la pédophilie ou la zoophilie sont balancés sans prévenir dans la masse et du coup on en viendrait à se poser la question sur la pertinence parfois.
Mais de toute façon ça n’est pas si choquant en soi, on est dans un ouvrage pornographique et en tant que tel les justifications ne sont pas toujours nécessaires. Néanmoins, à trop vouloir en faire…
Dernier point, pour conclure. le graphisme. Melinda Gebbie n’a pas un graphisme super précis mais chacune de ses planches est un véritable plaisir des yeux. Elle aborde une multitude de style, elle parodie les illustrations des vieux contes grivois, les peinture Art Nouveau, les gravures libertines etc. C’est incroyable, on sent qu’elle s’est magnifiquement impliquée dans cet album. En soi, c’est la découverte majeure de ce Lost Girls.
Un ouvrage, peut-être à ne pas mettre entre toutes les mains mais en tout cas qui fera référence !

Par FredGri, le 15 juin 2008

Attention ! L’ouvrage dont il est ici question est une bande dessinée pornographique comportant des scènes pouvant choquer. L’avis qui suit évoque ces scènes

Alan Moore, un des plus talentueux scénaristes de comics, un des meilleurs auteurs de bande dessinée, créateur entre autres des sublimes Watchmen, V pour Vendetta et autres From Hell, signe ici, aux côtés de sa femme Melinda Gebbie, encore un véritable chef d’œuvre.
C’est l’éditeur Delcourt, qui après maintes péripéties, a fini par prendre le risque de publier ce livre en France. Une des causes des problèmes de publication rencontrés dans plusieurs pays (dont la France, donc) est qu’il présente des scènes de pédophilie pouvant évidemment choquer.
Cette prévention étant faite, passons au contenu général de l’ouvrage.

Première bande dessinée pornographique du célèbre auteur américain, Filles Perdues (Lost Girls en anglais, en référence aux Lost Boys de Peter Pan) n’est évidemment pas sans fond.
Les trois principaux personnages sont des héroïnes de romans pour enfants célèbres, il s’agit d’Alice d’Alice au Pays de Merveilles, Wendy de Peter Pan et Dorothée du Magicien D’Oz.
On retrouve ces trois filles devenues femmes, Alice étant même relativement vieille dans ce livre. Alan Moore se livre en fait dans cet album à une réécriture de leurs histoires originelles.
Réécriture riche de sens et de symboles. Ces filles perdues se sont, dans sa version, livrées à leur manière à une certaine débauche sexuelle dans leur jeunesse, ce qui les a fortement perturbées. Encore enfants, elles se sont créé tout un monde imaginaire, mythologique, fantasmagorique autour de leur vie sexuelle. Il s’agit d’une véritable nouvelle lecture de ces histoires classiques et connues de tous, Alan Moore reprend chaque passage important des histoires originales et les réinterprète à sa façon, les personnages de ces œuvres classiques sont également repris. Les passages les plus célèbres de ces romans sont illustrés par Gebbie sur des pleines pages, offrant des dessins riches de symbolique, à la croisée entre le monde imaginaire que se sont créé ces filles et le monde réel.

On explore, à travers le récit que se racontent ces femmes, leur sexualité. Mais pas seulement, on assiste aussi à leur débauche sexuelle actuelle, ou à leur redécouverte du sexe pour Wendy, dans cet hôtel propice à ce genre d’activités.
Alan Moore nous montre également la vie sexuelle d’autres personnages, le mari de Wendy par exemple, qui, après être resté des années avec une femme devenue frigide, redécouvre les plaisirs du sexe avec un homme.
De surcroît, comme dans Watchmen, Alan Moore appuie parfois son récit avec un autre livre. Ici il s’agit d’un livre pornographique distribué par le gérant de l’hôtel qu’il déclare être écrit par de grands auteurs (Oscar Wilde par exemple).
La sexualité toute entière est donc abordée, avec même des situation très choquantes, il y a des scènes hétérosexuelles, des scènes homosexuelles (entre femmes principalement, mais aussi entre hommes), des parties à plusieurs, de l’inceste, de la pédophilie et même de la zoophilie. Certains passages peuvent donc être assez choquants, parfois on sent même Moore obligé de donner une certaine morale à travers les personnages, ce qui rend ces scènes plus acceptables. La sexualité n’est que rarement montrée comme sale ou dégoûtante et la plupart des pratiques sont explicitement montrées, que ce soit sodomie, fellation, cunnilingus, fétichisme… Rien n’est épargné au lecteur, il s’agit bien d’un ouvrage pornographique.

Encore une fois Moore use de tout son talent narratif. On ressent l’inventivité de la mise en scène à chaque page, les auteurs parviennent à dépasser le texte avec les images lourdes de symboles et de sens de lectures.
Le dessin au crayon de Gebbie donne du charme à cette Europe du début du XXème siècle. Le large découpage (pas plus de trois strips de pas plus de trois cases par pages) lui permet de nous offrir de magnifiques illustrations.
Les personnages sont très riches, principalement les trois principaux, marqués par leur enfance.
Les dialogues sont savoureux avec une ambiguïté dans les propos très souvent présente, n’ayant pas lu cette bande dessinée dans sa version originale, je ne peut pas juger de la justesse de la traduction, mais elle semble d’excellente facture.

Alan Moore et Melinda Gebbie signent avec ce Filles Perdues un renouement entre l’art et la pornographie somptueux. Filles perdues est un véritable chef d’œuvre, profitant de l’incomparable talent d’Alan Moore et du beau dessin de Gebbie.
Un ouvrage pornographique de référence, à n’en pas douter.
A lire absolument.

Par VincentB, le 20 avril 2008

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