Frankenstein ou le Prométhée moderne

Dérivant sur un iceberg, transi de froid et promis à une mort certaine, le jeune Victor Frankenstein a été recueilli in extremis à bord d’un navire dans la chaleur duquel il a pu fournir au Capitaine Walton une explication à sa présence en ces lieux.
Étudiant curieux et ambitieux, Victor Frankenstein, pétri de philosophie, de chimie et de biologie, s’est lancé, dans le cadre de ses recherches, un défi fou : celui d’insuffler la vie dans un corps humain pourtant reconnu mort.
Son expérience a été couronnée de succès mais la joie qui aurait dû habiter le scientifique s’est vite commuée en une sorte de répugnance pour sa créature. Rejetée et dans l’impossibilité de vivre parmi les humains à l’image desquels elle avait pourtant été créée, cette dernière décidera de se venger en assassinant les uns après les autres des êtres chers à son « père ».
Celui-ci voudra à son tour se venger de sa créature en la liquidant, quitte à devoir pour cela la poursuivre jusque dans les recoins les plus hostiles de la Terre où elle le conduirait ; et notamment sur cette mer de glace où Victor Frankenstein a été recueilli…

Par sylvestre, le 25 février 2025

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Notre avis sur Frankenstein ou le Prométhée moderne

C'est à cause des adaptations "à sensations" qui en ont été faites au cinéma que les gens se sont forgé une fausse image des intentions de Frankenstein ou le Prométhée moderne, le premier roman de Mary W. Shelley. La preuve de cette déroute collective est sans conteste le fait qu'avec le temps, le nom même "Frankenstein" a été associé à la créature qu'a animée Victor Frankenstein alors même que c'est à ce dernier qu'il devrait l'être puisque… C'est le sien !

Pour les gens, Frankenstein, c'est le monstre, c'est une créature qui fait peur :
"Eh ! En quoi tu t'es déguisé, pour Halloween ?
-- En Frankenstein !
-- Ah ouais ! Waouh, trop classe, tu fais flipper !"

En réalité, répétons-le : Frankenstein, c'est le nom du scientifique qui a recréé de toutes pièces un humanoïde et qui a réussi à lui insuffler la vie. Pas le nom de cet humanoïde en question.
Un déguisement de Frankenstein, en réalité, devrait ainsi être un déguisement d'étudiant-chercheur du début du XIXème siècle ! Ce qui correspondrait plus aux canons du Carnaval de Venise qu'à ceux d'une virée entre potes pour se faire peur le soir de Halloween ! ;-)

Ceux qui ont lu le roman ont assurément vu les choses autrement que ceux qui n'en ont vu que des adaptations plus ou moins fantaisistes à l'écran ou en bandes dessinées. Ils ont pu mesurer combien le propos était plus tourné sur l'acceptation de l'autre et sur la tolérance que sur un simple besoin de faire frissonner le lecteur ; sur la tristesse du "monstre" de ne pas avoir droit, lui aussi à l'amitié, à la vie en société, à l'amour ; sur les regrets et sur la culpabilité par le créateur d'avoir "enfanté" une créature aussi répugnante, aussi.

Il faut dire que la créature que Victor Frankenstein a animée était un colosse. De quoi faire peur naturellement aux gens qui croisaient son chemin vu qu'en plus d'être grande, elle était terriblement moche pour être un patchwork plus ou moins bien achevé d'éléments humains qui avaient été assemblés entre eux ! Mauvaise intuition de la part du scientifique ? Précipitation de sa part alors que s'il avait "peaufiné l'emballage", tout se serait mieux passé ?

Le fait est que Victor Frankenstein a été le tout premier a avoir eu peur de sa créature. Pas comme un Gepetto fondant d'amour pour son Pinocchio qui devenait enfin le fils qu'il n'avait jamais eu… Donc : mauvais présage ! Le jeune et talentueux scientifique avait passé de nombreuses années à atteindre son objectif mais a regretté d'avoir réussi dès la seconde où il a vu que "ça" avait fonctionné ! Étrange, non ? Avant d'être une peur du moche et du menaçant, la peur qu'a ressentie Frankenstein était sans doute aussi la peur d'avoir défié Dieu, et d'être ainsi allé sans doute "un peu trop loin".

Le roman de Mary W. Shelley est en réalité plein d'une certaine poésie ; mais celle-ci est illustrée par ses contraires. L'autrice fait en effet l'apologie de l'accueil, de l'acceptation et de l'intégration en dressant un tableau noir de valeurs contraires. Moins par moins faisant plus, CQFD. S'il y avait eu compréhension, s'il y avait eu communication, il y aurait eu confiance et il y aurait eu entente, voire vivre ensemble. Malheureusement, ce fut tout le contraire : la créature aura toujours été rejetée par les hommes (et en tout premier lieu par son "père"), ce qui aura fait son malheur, mais ce qui l'aura poussée aussi à se venger de son créateur en s'en prenant à des êtres qui lui étaient plus chers que tout, ce qui bien évidemment fera son malheur à lui aussi. Un podium de fin de course avec que des perdants.

La bande dessinée de Sergio A. Sierra (scénario) et de Meritxell Ribas Puigmal (dessin) est à applaudir entre autres pour ne pas être une élucubration macabre de plus mais une adaptation fidèle de l'œuvre de Mary Shelley. Fidèle sur le fond, mais également sur le respect de la composition du récit originel, sur les enchaînements et même sur le texte. Elle est remarquable ensuite parce qu'elle a été dessinée avec la technique de la carte à gratter, ce qui fait baigner le récit dans une noirceur accompagnant très bien tout ces sentiments qui président au récit tels la tristesse, les regrets, la rage, le désir de vengeance, la mort, le froid extrême, etc, etc… Ce qui n'empêche pas des zones de couleurs d'apparaître et de servir les ambiances avec un peu plus de subtilité que si tout n'avait été qu'en noir et blanc.

Cette BD est pourquoi pas gothique et victorienne en son genre mais que cela n'aille pas vous rebuter ! (C'est presque là le sujet du livre, d'ailleurs : l'apparence, les préjugés, et ce à quoi ça peut mener !) Il ne s'agit pas juste d'une esthétique à la mode que les auteurs ont voulu atteindre pour être dans l'air du temps : c'est un traitement graphique (qui a été travaillé en plusieurs temps, cette BD étant la réédition retouchée d'une première parution de 2009 aux éditions Petit à Petit) qui colle bien à l'histoire et qui saura vous séduire au fil des pages, faisant en plus, cerise sur le gâteau, ressembler les vignettes à des gravures d'époque.

Cette bande dessinée Frankenstein ou le Prométhée moderne est une belle redécouverte qui modernise sans la trahir une œuvre culturelle trop souvent réduite. Et qui vous donnera, espérons-le, l'envie de retourner au roman. Bravo !

Par Sylvestre, le 25 février 2025

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