Fredric, William et l'Amazone

A l’aube des années 1930, les comics émergent comme représentatifs d’une culture populaire riche et foisonnante. L’Amérique se cherche des repères, de nouveaux icônes et les personnages colorés et surpuissants provoquent l’engouement du public. Cependant, deux personnalités emblématiques de cette période s’opposent. D’une part, Fredric Wertham, un expert psychiatre reconnu, qui engage une campagne pour dénoncer la violence des comics qui pervertissent leurs jeunes lecteurs. D’autre part, William Moulton Marston, qui s’est fait connaître en concevant l’un des premiers détecteurs de mensonge, mais surtout qui est le créateur de Wonder Woman et qui en défend les mérites pédagogiques. En suivant ces deux hommes, nous redécouvrons l’une des périodes les plus marquantes de l’histoire de la bande dessinée américaine, ce qui va nous emmener ensuite jusqu’au redoutable "Comics Code", créé en 1954…

Par fredgri, le 22 janvier 2020

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Notre avis sur Fredric, William et l’Amazone

On le sait bien, l’Histoire de l’Art, et plus particulièrement de ce qui nous intéresse ici, la bande dessinée, est assez complexe. Elle ne peut se regarder séparément des époques qu’elle traverse, de cette société dont elle n’est finalement que le reflet, avec ses mœurs, ses travers, ses idéaux, voire même ses fantasmes. On l’observe à la loupe, on la pointe du doigt pour expliquer tel ou tel phénomène de société, ou on l’idéalise pour mettre en avant l’incroyable patrimoine artistique qu’elle a généré au fil du temps… Cette Histoire est un enseignement, le creuset d’une culture qui a vécu mille et une fluctuations.

Ce passionnant album, de Jean-Marc Lainé et Thierry Olivier, se penche justement sur l’une de ces ondes qui sont venues troubler la surface de cette épopée artistique…
Dans les années 50, un psychiatre plus ou moins renommé, Fredric Wertham, engage, dès 1948, une véritable campagne de diffamation contre les comics qu’il considère comme pernicieux, démarche qui va prendre des dimensions démesurées avec la publication en 1954 de "Seduction of the Innocent", provoquant des élans de haine envers les comics partout dans le pays, allant même jusqu’à voir se multiplier les autodafés ou de jeunes lecteurs sont poussés à jeter leur propre collection au feu… !

Mais plutôt que de brosser un portrait caricatural, les auteurs s’intéressent aux bases de la démarche de Wertham, à ses années à s’occuper de meurtriers, confronté à leur violence, leurs témoignages troublants, à chercher la source de cette violence dans leur propre vie, dans le monde qui les entoure et par glissement à poser un regard sur ce que proposent en parallèle cette littérature dessinée accessible à tous, sans distinction de contenu. C’est adroit, car ils mettent ainsi en vis-à-vis la perception quelque peu orientée du praticien, mais aussi les réalités d’un médium qui se cherche des limites, qui est en pleine phase d’exploration, sans forcément se poser de question sur le symbolisme et l’aspect psychiatrique de ce qu’il contient.
Pour appuyer cette ambiguïté, le scénario présente William Moulton Marston, le créateur de Wonder Woman, qui glissa beaucoup de lui même, peut-être plus que d’autres, dans sa création. Toutefois, plutôt que de se borner aux limites des comics, il en percevait bien plus le potentiel pédagogique… D’ailleurs, les lecteurs (trices) se sont vite enthousiasmées pour cette héroïne émancipée pleine de caractère, qui affrontaient ses adversaires armée de son lasso d’or, capable de faire avouer le moindre méfait à tous ceux qu’elle ligotait. Peut-être ne voulait-il pas voir toute la dimension liée au bondage, toujours est-il qu’il figura parmi ceux qui furent responsabilisés par Wertham…

Jean-Marc Lainé, qui connait très bien l’histoire des comics pour y avoir consacré plusieurs livres et de nombreuses conférences, s’interroge ainsi sur ces deux parcours, ce qui les rassemble, les oppose, il s’intéresse aux hommes, à leur vie, sans pour autant s’éterniser sur les détails, nous les survolons à travers ce récit tout en suggestions, qui nous propose l’essentiel, adroitement dosé. C’est éclairant, instructif et captivant !

Graphiquement, le travail de Thierry Olivier est tout simplement magnifique, un noir et blanc relevé d’un léger lavis et occasionnellement de quelques monochromes. Son trait est extrêmement expressif, avec une très belle gestion des lumières et un soin tout particulier porté à son encrage très précis. On devine une imposante documentation, des petits clins d’œil deçi delà, des détails à apprécier savoureusement et un vrai plaisir des yeux !

S’il reste des épisodes gravés au fer rouge, qui façonnèrent les comics tels que nous les connaissons aujourd’hui, cette campagne anti-comics est certainement parmi les plus marquants, néanmoins, l’apport de Moulton symbolise parfaitement l’intense liberté qui flotta dans l’air à un certain moment et qui servi de terreau pour les dénonciations de Wertham !
Un album à lire absolument, à partager et à commenter !

Vivement recommandé !

Par FredGri, le 22 janvier 2020

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