Ginseng Roots

(Regroupe les Ginseng Roots 1 à 12)
Encore marqué par le manque de succès de Space Boulettes, Craig Thompson réfléchit à un nouveau projet qui pourrait lui permettre de renouer avec le plaisir de dessiner, de raconter… Et pourquoi pas retourner vers une approche plus autobiographique, en revenant vers son adolescence, au temps ou avec sa famille ils travaillaient dans les exploitations voisines qui cultivaient les racines de Ginseng. Ainsi, en évoquant ses souvenirs, il se penche sur l’histoire traditionnelle de cette racine, les mythes qui l’entourent, tout en nous racontant la réalité industrielle qui a permis à de nombreux cultivateurs de s’enrichir, mais qui les a poussé aussi, au début des années 90 à stopper leur exploitation…

Par fredgri, le 20 septembre 2024

Notre avis sur Ginseng Roots

S’il faut replacer Ginseng Roots dans la perspective de l’œuvre globale de Craig Thompson, il suffit de voir que 21 ans séparent ce nouveau projet de Blankets, l’album biographique de référence de l’auteur, dont Ginseng Roots se présenterait presque comme une sorte de continuité ++. Autre point de repère, Space Dumplins (en VF « Space Boulettes« ) est sorti en 2015, on comprend que le manque de succès de ce dernier album a pas mal bloqué l’auteur qui ne s’est ensuite mis sur Ginseng Roots que bien plus tard, le premier épisode ne paraissant qu’en juillet 2019 (je rappelle que le volume rassemble les 12 fascicules de la série publiée initialement par un petit éditeur américain: Uncivilized Books. Qu’il ne s’agit donc pas comme beaucoup vont se plaire à le répéter d’un Roman Graphique, mais bel et bien d’une sorte d’Intégrale).
Ces deux éléments sont importants, car ils permettent de comprendre que Thompson a eu envie de retourner vers une approche plus intimiste en venant justement approfondir l’histoire qu’il évoquait dans Blanket, mais cette fois, avec moins d’amertume, ou tout simplement plus de maturité, tant sur le plan scénaristique que graphiquement. L’idée étant, cette fois, de se concentrer sur quelque chose qu’il n’avait pas abordé auparavant, les petits jobs d’Été dans les exploitations de Ginseng des voisins.

Ce point de départ va donc lui permettre de parler à la fois de lui, de sa famille, des liens qu’il a entretenu avec son frère, mais aussi avec sa sœur et ses parents, tout en glissant petit à petit vers les racines de Ginseng, leur nature, leurs origines, les mythes qui les accompagnent et plus globalement la réalité industrielle et économique de ces exploitations qui vont dynamiser la région, enrichissant de nombreux agriculteurs locaux et internationaux jusqu’aux années 90 ou cela va progressivement se ralentir.

Ainsi, cet album mélange très adroitement le récit autobiographique et un gros contenu documentaire qui se révèle absolument passionnant, tant Thompson creuse son sujet tout en amenant une mise en scène, un découpage didactique de toute beauté.
Peut-être que le lecteur qui attend un contenu plus axé sur la vie de l’auteur trouvera ce qui a trait au Ginseng trop « présent », mais justement, ce qui est intéressant c’est cette matière complémentaire qui est sans cesse recontextualisée par rapport à la situation familiale, par rapport au Wisconsin et le lien que la famille entretient depuis son arrivée dans la région.
Craig Thompson nous propose un album mené sous le ton faussement digressif d’une balade chez les voisins ou l’on évoque le passé et le présent, les souvenirs et la réalité industrielle d’une économie que finalement on ne soupçonne qu’à peine. On apprend ainsi comment se cultive cette racine, comment elle est ensuite conditionnée, quels sont les réseaux de distributions, les principaux producteurs de la région, quelles sont les multiples applications du Ginseng, mais en parallèle, on découvre pourquoi la sœur de Craig n’apparaissait pas dans Blankets, comme il a été difficile pour ses parents d’accepter cet album, que les premières sommes gagnées en aidant à la récolte ont permis à Craig et son frère de lire davantage de comics…

Ce mélange très subtil entre intimisme et documentaire nous donne un volume complexe, mais d’une incroyable fluidité aussi. On glisse d’une scène avec les deux ados qui s’investissent à fond à des séquences plus proches de l’interview avec des exploitants, en passant par des contes qui nous emportent dans l’Asie antique. Le tout, encore une fois, magnifiquement mis en scène.
Car Craig Thompson soigne le moindre détail dans ses planches qu’il ponctue d’idéogrammes, de schémas, d’objets publicitaires, tout en organisant parfaitement l’ensemble pour que chaque page soit en quelques sorte conçue comme une illustration.

A sa manière, il propose une nouvelle approche des codes de la bande dessinée, à la fois plus dynamique et moderne, tout en n’oubliant jamais d’être accessible et informatif.
Ginseng Roots démontre que l’artiste a en effet atteint une vraie maturité dans son approche graphique, mais aussi dans son rapport à sa vie, à son expérience et au monde qui l’entoure. C’est certainement LE projet qu’il faut lire de Craig Thompson.

A savoir aussi que ce volume regroupe donc comme je l’ai précisé plus haut, les 12 fascicules de Ginseng Roots publiés aux États Unis, mais en plus Craig Thompson a complètement tout retravaillé, allant même jusqu’à rajouter de nombreuses pages, en reconstruire d’autres.

Un très grand album que je vous conseille très vivement de lire.

Par FredGri, le 20 septembre 2024

Publicité