GORAZDE
La guerre en Bosnie Orientale 1993-1995
Joe Sacco s’est rendu quatre fois en Bosnie entre fin 1995 et fin 1996. C’est à Gorazde, en Bosnie orientale, qu’il a passé le plus clair de son temps, s’attachant à recueillir le témoignage des habitants à propos des agressions serbes qu’ils ont subies entre 1992 et 1995. Sur le complexe puzzle ethnique qu’est la Bosnie, Gorazde était en effet l’une des quatre enclaves musulmanes en territoire serbe, un de ces territoires que l’ONU, qui s’était engagée à les protéger, a en pratique abandonné à la furie des nationalistes serbes, condamnant une population à l’extermination.
Par sylvestre, le 1 mai 2010
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Scénariste :
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dessinateur :
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Éditeur :
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Sortie :
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ISBN :
9782878270785
Notre avis sur GORAZDE # – La guerre en Bosnie Orientale 1993-1995
Joe Sacco est allé quatre fois en Bosnie pour les besoins de cet ouvrage. Quatre fois une petite semaine. Ce n’est pas beaucoup pour rapporter autant de choses à raconter d’un pays dont il ne connaissait rien, et ça ne laisse pas beaucoup de temps non plus pour remuer les braises brûlantes de la mémoire des gens qu’il a interviewés ! Mais avec une carte de presse et la rapide rencontre de Edin qui deviendra sur place son guide puis un ami lui ouvrant ensuite les portes d’autres Bosniaques, on conçoit qu’il ait pu s’organiser au mieux pour mener à bien son projet d’aller, comme il l’avait fait pour Palestine, à la rencontre de gens qui ont souffert et que les media n’ont pas relayés. En effet, comme il le rappelle, Sarajevo ou Srebrenica furent pendant la guerre de Bosnie les "chouchou" des media : l’enclave de Gorazde n’a pas eu droit à autant d’égards, et (qui sait ?) cela a peut-être participé à y condamner beaucoup de personnes coupées géographiquement de leurs alliés et oubliées par l’opinion publique internationale.
Joe Sacco est arrivé après le conflit. Juste après. Grâce à ses dessins, on peut voir ce qui n’a pas pu être pris en photo ou filmé pendant la guerre. Et c’est là que l’on se rend compte que le BD-journalisme est un excellent moyen de raconter des événements passés qu’aucun document n’atteste. Et comme l’auteur, avant de se mettre au travail sur sa table à dessin, a pu prendre du recul sur les rencontres qu’il a faites, les choses qui lui ont été racontées ont pu être entendues, confrontées, validées, et enfin retransmises clairement à notre attention de lecteur ; à l’attention du monde qui ne savait pas, pendant la guerre, ce qui se passait à Gorazde et dans ses alentours.
Le principe de la construction de ce livre est le même que pour Palestine (on ne change pas une formule gagnante !) : il y a alternance de séquences où Joe Sacco se met en scène, ce qui permet de prendre la température des lieux dans lesquels il a récolté des témoignages, et des flashbacks mettant en images ces histoires qu’il a recueillies.
Le résultat est édifiant. La guerre nous est racontée par ceux qui l’ont subie et s’avère alors bien plus dérangeante que quand elle ne nous gêne que le temps de quelques minutes lors du journal télévisé ! Les Bosniaques étant les victimes à qui la parole est enfin donnée, les Serbes qui ont été leurs bourreaux, galvanisés par des dirigeants à l’idéologie très contestable, en prennent pour leur grade et la démence de ces situations invivables où le voisin et ami d’hier devient l’assassin sans cœur éclate.
Cela dit, Joe Sacco n’oublie pas d’écorcher l’ONU, pas plus qu’il n’omet d’écrire qu’il y a quand même des soupçons sur les chiffres qui font loi désormais dans le macabre comptage de ces barbaries qu’a connues Gorazde. Mais son travail vise à faire parler des victimes de la folie guerrière humaine, pas de se soucier de si tous les chiffres sont exacts. Et même s’il n’y avait eu qu’une seule victime lors de ces atrocités, lui rendre hommage en dévoilant enfin ce qu’elle a subi était devoir de mémoire nécessaire.
Après une première édition sous la forme d’intégrale, la bande dessinée Gorazde a été rééditée début 2009 avec une nouvelle couverture (voir le visuel sur cette fiche), toujours aux éditions Rackham.
A lire absolument.
Par Sylvestre, le 1 mai 2010
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