Grand Est

Dans la "masse" des albums, que je pourrais appeler "journalistiques", les auteurs gardent généralement une sorte de distance avec le sujet, s’impliquant parfois émotionnellement, mais restant concentrés sur le sujet, sur leur démonstration !
Ici, Denis Robert opte pour une sorte de longue digression avec comme thème principal la Lorraine, sa situation, l’impact de la crise sur son infrastructure, le chômage, la desindustrialisation, les gros sous, le sol, la pollution…
Son regard est certes acéré, analytique, il n’empêche qu’il aborde aussi son sujet sous l’angle du parcours personnel, faisant régulièrement la transition avec sa propre vie, sa famille, l’importance qu’il y a à penser aux jeunes générations, à leur donner les armes nécessaires pour mieux comprendre ce monde qui sombre, qui se vide de ses idéaux, progressivement !

Ce regard est plutôt désillusionné et amer, et c’est amplifié par ces objectifs gouvernementaux qui s’éloignent systématiquement du peuple et de son bien être ! Toutefois, derrière cette région c’est la silhouette de la France entière qui se profile, derrière ces ouvriers, ces mineurs qui se retrouvent sans rien du jour au lendemain, malgré leur lutte, c’est un ensemble de combats menés un peu partout qui fait écho. Grand Est permet très intelligemment de faire le point sur la déliquescence de cette société moderne qui peine à sortir d’une situation apparemment sans issue, car interminablement entretenue par une certaine oligarchie insensible aux effets néfastes de son économie.

Mais l’album, qui a certes un fond très critique et très politique, laisse quelques aérations assez subtiles vers justement l’auteur lui même, son expérience de journaliste, ses rencontres et les moments passés avec son fils. On peine parfois à déterminer la direction que veut réellement prendre ce livre, s’il y a tout de même, à un moment donné, une alternative pour l’après… De plus, on sent que Denis Robert construit une vague intrigue autour d’une balade d’un père avec son fils, que c’est davantage un prétexte pour alimenter la visite guidée de cette région, pour "provoquer" une série de constats sans appel, que c’est presque plus de l’ordre du documentaire !
Mais pourquoi pas d’ailleurs, car au fond, on est peut-être touché par ces moments plus intimistes, cette relation presque émouvante avec ce fils qui veut justement partager davantage avec son père. Malgré tout, on est surtout marqué par ce que nous explique le scénariste, cette analyse des faits, des répercutions qui ont marqués toute une population !

C’est fascinant et très prenant. Une fois lancé, on ne lâche plus cette lecture qui fait l’effet d’un incroyable coup de poing dans certaines idées reçues !

Graphiquement, on retrouve Franck Biancarelli (qui avait déjà réalisé avec Denis Robert "Le circuit Mandelberg", sorti l’année dernière chez Dargaud). L’artiste livre de très belles planches aux couleurs minimalistes, mais très expressives ! Il reste en retrait par rapport au scénario, sans faire d’esbroufe, mais toujours incroyablement efficace ! Du très très bon boulot !

Un album qui n’a pas fini de faire parler de lui, que je vous conseille vivement, car très instructif et très beau !

Par FredGri, le 22 juillet 2016