Histoire dessinée des juifs d'Algérie

C’est en numérisant des photos de famille que David, jeune juif de Sarcelles, va découvrir une histoire familiale liée à l’Algérie, et à travers elle une fresque civilisationnelle de près de 2000 ans !

Par v-degache, le 15 mai 2022

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Notre avis sur Histoire dessinée des juifs d’Algérie

L’historien spécialiste de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora, revient à la bande dessinée, après son Histoire dessinée de la guerre d’Algérie (Seuil, 2016). Il s’attelle cette fois-ci à l’histoire des Juifs d’Algérie, en lien avec celle de sa famille. Cette incursion dans l’égo-histoire dessinée s’est faite sur demande de l’éditeur La Découverte, même si Stora est un habitué des images et du passage de la réalité historique à la fiction, avec la BD précédemment citée, mais aussi des documentaires (Guerre d’Algérie, la déchirure, 2012) et son rôle de conseiller historique, par exemple sur le film Indochine (R. Wargnier, 1991). Benjamin Stora avait aussi œuvré comme commissaire de l’exposition Juifs d’Orient à l’Institut du monde arabe (novembre 2021 – mars 2022).
Il est ici associé avec un ami de 52 ans, Nicolas le Scanff, qui, après une expérience courte de bédéiste à vingt ans, a travaillé pour la presse, notamment comme maquettiste à Paris-Match.

La volonté de l’ouvrage est d’inscrire les juifs d’Algérie dans une temporalité longue, pour montrer leur appartenance au monde indigène, le fil graphique étant assuré par la mise en couleur directe à l’aquarelle de N. le Scanff.
Un adolescent de Sarcelles, descendant de juifs des Aurès, découvre en 2019 le passé de sa famille, et nous allons avec lui remonter le fil de l’histoire, depuis l’arrivée des premiers juifs, reposant sur des suppositions et la légende, à la rupture que va constituer la guerre d’Algérie. L’ouvrage montre bien leur capacité à s’adapter à chaque nouvelle arrivée. La communauté ne disparaît pas, au contraire d’autres communautés chrétiennes.

Les grands moments de cette histoire sont ainsi parcourus. L’importance jouée par la rechristianisation de l’Espagne en 1492, poussant vers l’Algérie de nombreux juifs, et entrainant un renouveau parmi ceux-ci qui étaient en train de basculer vers le syncrétisme.
L’arrivée des Français en 1830, et surtout l’impact du Décret Crémieux de 1870, qui les fait réellement rentrer "en France", en tant que communauté, en leur attribuant la citoyenneté française, mais qui institue aussi une fracture entre juifs et musulmans, sont évidemment abordés, ainsi que les actes antisémites des années 1880-1890, durant lesquels on retrouve l’influence d’Edouard Drumont, député d’Alger, qui précipiteront nombre de ces juifs d’Algérie vers la nationalité française.
Le premier conflit mondial voit un basculement, avec une assimilation culturelle des juifs d’Algérie, notamment dans certaines villes, ainsi que la découverte pour les hommes de la métropole, avec les tranchées. Le Scanff montre avec de belles planches que leur identité n’est pas pour autant gommée, car on conservait bijoux, or, et costumes anciens. Si Vichy supprime le décret Crémieux en 1940, le processus d’acculturation et d’assimilation avait fonctionné, avec un désir de retour dans la cité française, les élites réclamant une restitution du décret, ce que fera de Gaulle, même si certains juifs d’Algérie, minoritaires, choisiront le sionisme et rejoindront Israël, ou d’autres, souvent communistes, ne feront plus confiance à la France, ralliant le FLN durant la guerre.
La BD se termine avec une Guerre d’Algérie précipitant la rupture, à partir de quelques événements. On retrouve dessiné l’attentat à la bombe du Casino de la Corniche en 1957, où la jeunesse juive d’Alger avait l’habitude de se retrouver pour danser, ou bien l’assassinat du chanteur et musicien Cheikh Raymond à Constantine en 1961, alors que parallèlement Ferhat Abbas, réputé comme « ami des juifs », était écarté du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA).
La peur va bientôt avoir raison des juifs d’Algérie, entrainant leur départ massif vers la France, notamment à partir de 1961, beaucoup quittant leur métier d’origine pour devenir fonctionnaire.

Si N. le Scanff n’a pas pu se rendre en Algérie pour dessiner, le travail réalisé à partir de la consultation de 10 à 12 000 photos, dont des images satellite pour reconstruire graphiquement certains bâtiments, permet de donner réalisme et véracité au dessin. Le story board a été travaillé avec B. Stora, donnant lieu à un dazibao, permettant de voir si la narration fonctionnait dans son ensemble.

Trente après La gangrène et l’oubli (La Découverte, 1991), Benjamin Stora, aidé par N. le Scanff, continue avec cette Histoire dessinée des juifs d’Algérie de lutter contre cette volonté d’oublier qui s’est instituée après 1962. Si le dessin est parfois inégal, l’ouvrage n’en demeure pas moins une réussite dans cette entreprise de vulgarisation du travail d’historien, et de restitution d’une mémoire en partie méconnue !

Par V. DEGACHE, le 15 mai 2022

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