Inlandsis inlandsis
La glace

En 2046, le projet Ice Memory propose à deux auteurs de bande dessinée une résidence de neuf semaines en Antarctique pour observer la disparition de l’Inlandsis, tout en tenant, au fur et à mesure un journal sur leur séjour. Marie, chargée de la logistique depuis Nantes, reçoit quant à elle une terrible nouvelle : un accident récent a occasionné des dommages irréversibles à sa mémoire à court terme. Alors qu’ils se trouvent dans leur abri, coupés du monde, les deux écrivains constatent qu’ils n’ont reçu que la moitié des provisions promises…

Par fredgri, le 11 mars 2025

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Notre avis sur Inlandsis inlandsis #1 – La glace

Après avoir été touché par une émission de radio qui parlait notamment de la présence de bulles d’air dans les couches de glace de l’Antarctique, ce qui permettrait d’analyser des extraits d’atmosphère vieux de plusieurs milliers d’années, Benjamin Adam a eu l’idée de mêler plusieurs récits en même temps.
D’une part, les différentes expéditions australes qui ont progressivement amené les scientifiques à s’intéresser à la recherche sur l’inlandsis (les énormes étendues de glace qui peuvent recouvrir un continent, pouvant atteindre plusieurs milliers de mètres d'épaisseur) au pôle Sud, ce qui amène au programme Ice Memory Project, conçu pour la préservation des glaciers, puis à l’envoi de deux auteurs de BD dont le but sera de témoigner de la fonte de l’inlandsis sur une période de 9 semaines. Ensuite, il situe l’action dans un futur assez proche, en 2046, afin d’établir une légère projection sur les dégâts que provoque cette fonte et, plus indirectement, de mettre en scène une société en pleine déliquescence qui montre les forces de police et des groupes d’individus en colère s’affronter dans les rues. Puis il y a la situation personnelle de Marie, la coordinatrice du projet, sur Nantes, qui souffre de graves défaillances de sa mémoire qui l’empêchent de mener sereinement son travail et sa vie de famille.

On le voit dès les premières planches, pas mal de choses viennent se croiser en même temps, des idées qui partent sur des pistes narratives très différentes. Qu’il s’agisse du constat sans appel sur l’omniprésence policière qui alimente les angoisses du peuple, de la dérive écologique, du rapport à notre mémoire, de notre histoire immédiate ou encore du lien avec l’acte de création, imaginer et mettre en œuvre…
Benjamin Adam se nourrit de sa propre expérience, du regard qu’il porte sur le monde qui l’entoure pour construire une intrigue mosaïque complexe qui veut peut-être dire trop de choses, au final. Néanmoins, le résultat est fascinant, car il pose un regard sur une société moderne qui subit la violence libérale de plein fouet, qui peine à prendre le recul nécessaire pour percevoir avec lucidité le danger environnemental de plus en plus prégnant tout en forçant un individualisme de reclus qu’il est nécessaire de combattre par l’entraide.
On glisse dans l’album, sautant d’une séance à l’autre, nous nourrissant des multiples pistes de réflexions qui s’ouvrent devant nous, comme les doutes du dessinateur de BD isolé, avec son camarade, au milieu de la banquise, qui se rend compte que finalement, loin des tumultes de la société, il trouve son équilibre.
Benjamin Adam propose donc une sorte de double propos, à la fois critique et intimiste sur sa place en tant qu’artiste à travers son processus de création, mais aussi comme témoin d’un monde qui se disloque autour de lui, dans lequel il est parfois compliqué de se retrouver.

Ce premier volume d’Inlandsis inlandsis est accompagné, de manière plus confidentielle, par trois numéros du fanzine South Polar Time, édité par l’auteur lui-même où il raconte brièvement le processus de création des premiers chapitres, de ce qui l’a inspiré, des remises en question qui sont venues petit à petit se rajouter. L’idée est intéressante, car elle renforce le lien qui s’établit entre le lecteur et le créateur.

Je vous conseille donc vivement de découvrir ce passionnant album, d’une grande pertinence.

Par FredGri, le 11 mars 2025

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