Je mourrai pas gibier

Je hurlais comme un putois lorsque les flics sont venus me ramasser. Et je chialais à cause de ce tibia qui me faisait un mal de chien. Combien de victimes ? Les chiffres, c’est pas mon truc. Mais ce dont je suis sûr, c’est que j’avais pris toutes les cartouches. Il y en avait 18. A la fin, il n’en restait plus. Huit victimes a établi le docteur, dont cinq morts. Il y en a pourtant quelques uns que j’ai manqués.

Je ne me suis pas servi que du fusil. Le fusil est venu après. D’abord, j’ai pris les premières choses qui me sont tombées sous la main. Une vieille pelle qui traînait dans la remise. Et un marteau.

A la base, ça devait être une fête vu que c’était le mariage de mon frère. Mais une fête, à Mortagne, on ne sait jamais bien ce que ça veut dire…

Par legoffe, le 1 janvier 2001

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Notre avis sur Je mourrai pas gibier

En regardant la couverture de ce livre, je me disais bien que ça n’allait pas être très gai. Le garçon avait un visage sombre, l’œil à la Picasso ne reflétait pas la joie de vivre et les personnages dessinés sur son profil n’avaient pas non plus l’air bien net. Le fusil dans la main ? Ca aurait pu être une histoire de chasse. Après tout, on apercevait bien un lapin dans un coin du dessin. Mais le gibier n’allait pas être celui que l’on croit…

Ensuite, j’ai tourné les pages. L’entrée en matière n’était guère réjouissante. Aucune victime en vue. Juste des gendarmes, une maison retournée, un jardin sentant le drame et un forcené en piteux état. Cela aurait pu être un jeune homme comme les autres. Mais, il faut croire qu’à Mortagne, on peut soudain sombrer dans la folie au point de commettre l’irréparable. La vie, parfois, joue de bien vilains tours. Mais pourquoi parler de Mortagne d’ailleurs. Cela aurait pu arriver ailleurs. N’importe où ailleurs.

Cela, les archives de la police pourraient le dire sans doute. Mais quand on vit le drame de l’intérieur, quand il est raconté par celui qui va soudain assassiner sa famille en plein mariage, cela ne ressemble pas vraiment au fait divers du journal télévisé. C’est bien plus prenant. La machine infernale est en route, guidée par la bêtise et la cruauté des personnages qui entourent le jeune homme. Le lecteur, lui, n’est là que pour assister, impuissant, à ce qui n’aurait pas dû arriver. Car, si le livre s’ouvre sur la conclusion du drame, le narrateur revient ensuite sur l’enchaînement des faits, d’une manière précise, d’une manière froide, sans trop user les mots. Les paroles, en effet, sont rares. Mais les dessins et les quelques phrases lâchées ça et là suffisent à prendre la mesure du récit.

On sait que l’on s’approche du pire, et pourtant impossible de refermer le livre. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une curiosité morbide. Non, on veut simplement comprendre pourquoi tout cela. Et puis, la narration est d’une efficacité redoutable. On ne regarde pas les événements de Mortagne, on les vit. Les dualités entre ceux de la scierie et ceux de la vigne, la pression de la famille sur le petit dernier, la cruauté du frère, l’innocence du pauvre Terrence qui n’a pas toute sa tête… Ils sont là, avec nous. Pourtant, on peut pas dire qu’on aimerait les avoir comme voisins ceux là. Ca non. Ca ne risque plus d’ailleurs.

C’est bien simple, j’ai tout lu d’une traite, sans pouvoir arrêter. Une fois arrivé au bout de ma lecture, je suis resté saisi.
Bien sûr, c’est une fiction. Mais est-ce que cela enlève quelque chose à l’ensemble ? Non. Est-ce que cela apporte quelque chose au lecteur ? Je n’en sais rien. Je disais à l’instant que je lisais aussi pour tenter de comprendre. Voilà qui est peine perdue. Rien ne vous permettra de comprendre car il n’y a rien à comprendre. Dès lors, on pourrait presque se demander s’il faut vraiment lire cet album. Oui, serais-je tenté de répondre parce qu’il nous parle avant tout d’un drame humain. Non, serais-je tenté de rétorquer parce que ça n’est plus totalement humain.

Nous avions déjà vécu un moment bouleversant avec Pourquoi j’ai tué Pierre, dessiné lui aussi par Alfred sur un scénario d’Olivier Ka. Le dessinateur revient à nouveau avec un livre très fort, au graphisme plus torturé et inspiré du roman de Guillaume Guéraud. Mais le mot qui vient à l’esprit, cette fois, est « terrifiant ».

Par Legoffe, le 12 janvier 2009

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