JOURNAL INQUIET D'ISTANBUL
2007-2017

Célèbre dessinateur de presse en Turquie, Ersin Karabulut raconte, avec cette série, son parcours. Mais, plus qu’une BD sur le métier de caricaturiste, cet ouvrage est surtout l’occasion d’évoquer la liberté d’expression et la dérive du pouvoir turc vers l’autoritarisme et le conservatisme islamiste. Un exemple qui vaut message universel sur les fragilités de nos démocraties.

Grâce au témoignage de l’auteur, nous découvrons, en effet, comment Erdogan et son parti imposent progressivement leurs décisions et profitent de certains événements pour fragiliser l’opposition. Surtout, on comprend comment des discours choc et simplistes peuvent faire basculer l’opinion. L’information est grimée, voire totalement inventée, pour manipuler les foules. Il est impressionnant de voir combien cela fonctionne et sur quelles violences elle peut déboucher. 

Ni Ersin, ni ses collègues ne sont présentés comme des super-héros. Au contraire, l’auteur montre aussi leurs fragilités, leurs propres peurs ou doutes. Il est aussi intéressant de voir comment ils perçoivent les conditions de leurs homologues français, par exemple, avant et après les attentats contre Charlie Hebdo. 

Malgré le propos, Karabulut sait conserver un certain sens de l’humour et de la dérision, qui font partie, on le voit, de son ADN, jusque dans les traits des personnages. Là encore, le caricaturiste n’est jamais loin. Se moquer des autres comme de soi, voilà sans doute l’une des meilleures preuves de ce qu’est une BD aussi engagée qu’objective. Elle est racontée, de surcroit, de manière percutante, pour mieux nous saisir en ces temps où les conservateurs et les extrémistes gagnent partout du terrain. 

Par Legoffe, le 16 février 2025