La forêt millénaire

 
Après le divorce de ses parents et parce que sa mère souffrante ne pouvait plus s’occuper de lui correctement, le jeune Tokyoïte Wataru est parti vivre chez ses grand-parents à la campagne. Ils n’étaient que treize, dans sa nouvelle classe, ce qui changeait radicalement pour lui ! Mais s’intégrer n’allait pas être chose facile et, un beau jour, Wataru dut prouver à ses camarades qu’il était capable de grimper au tronc d’un énorme arbre.

Un tremblement de terre avait eu lieu dans la région et la nature environnante en avait été transformée. Se pouvait-il qu’elle soit vivante comme on le dit des hommes ? Le fait est que lorsque Wataru s’est retrouvé au pied du tronc qu’il devait gravir, il fut encouragé par une voix qui semblait justement provenir de l’arbre !
 

Par sylvestre, le 19 novembre 2017

Notre avis sur La forêt millénaire

 
Jirô Taniguchi nous a quittés avant d’avoir pu terminer La forêt millénaire, c’est donc un ouvrage particulier à plus d’un titre que les éditions Rue de Sèvres ont choisi de publier en cette fin d’année 2017 et dans lequel un coin de voile est levé sur l’aventure que ce manga aurait dû être.

Particulier, cet ouvrage l’est parce qu’il marque matériellement l’inachèvement de l’oeuvre du mangaka et parce qu’à l’instar d’un Tintin et l’Alph-Art, La forêt millénaire ne pourra que faire fantasmer les fans de l’auteur ou les frustrer puisque jamais on ne saura comment aurait dû finir l’histoire de Wataru. Particulier, ce livre l’est aussi dans la forme que la bande dessinée revêt puisqu’elle est toute en couleurs, au format à l’italienne et dans le sens de lecture européen ; combinaison de contraintes chères à Jirô Taniguchi qui, grand amateur de BD franco-belges depuis de très nombreuses années, rêvait de travailler une fois de plus "à l’européenne" et pouvait profiter de son succès et de sa renommée pour réussir à convaincre les éditeurs japonais de se plier à ce que ces derniers pouvaient considérer (au vu des contraintes commerciales entourant la publication des mangas au Japon) comme des caprices !

Le scénario de La forêt millénaire n’était pas encore bouclé quand l’auteur a rendu son dernier souffle. Seuls deux des cinq tomes prévus pour cette aventure n’ont été préparés par Jirô Taniguchi, dont la majeure partie n’existe qu’à l’état de "rushes". Le récit était encore en gestation, l’oeuvre en chantier, l’objectif était encore mouvant et cette histoire qui devait s’adresser aux enfants a par exemple rapidement pris des airs de BD s’adressant aussi aux adultes de par son message humaniste. Ces incertitudes sur le "produit fini" se ressentent presque dès les premières pages de la bande dessinée où, très lentement, le décor est planté : des paysages majestueux et purs dignes de contes fabuleux… mais des textes au phrasé plutôt adulte. Ce type de décalage perturbe un peu : le tremblement de terre et le surgissement d’une nouvelle forêt tiennent de la fable et il n’est pas fait mystère de l’existence d’animaux fantastiques, puis le propos revient d’un seul coup à des scènes qui ont beaucoup plus "les pieds sur terre". En même temps, l’auteur a déjà joué là-dessus dans quelques-uns de ses titres ; et parmi les meilleurs… La couleur souligne le décalage des traitements graphiques, aussi : les forêts des premières planches sont peintes comme des tableaux quand les vignettes reviennent ensuite à des dessins avec contours. Page 24 (case 1), le personnage de Wataru, superposé sans ombre sur un arrière-plan urbain, choque sûrement plus que si la page avait été en noir et blanc. Encore que là, la voix off nous fait bien comprendre que ce "montage" est voulu : il y est question de l’arrachement de Wataru à l’univers dans lequel il a grandi avant de devoir déménager à la campagne. N’empêche que toutes ces petites observations et toutes ces petites choses dont on n’a pas l’habitude dans les bandes dessinées de Jirô Taniguchi arrivent les unes après les autres et nous laissent dubitatifs sur le rythme de la suite.

La suite, heureusement, est à la hauteur de ce qu’on attend d’un artiste comme Taniguchi. A partir du moment où le jeune garçon vit chez ses grand-parents, l’aventure se lance et c’est un régal de la lire ! Mais ce bonheur n’est que de courte durée puisque page 52 (planche 42), tout s’arrête. Les bédéphiles vivront ça de manière plus compréhensive que les lecteurs occasionnels qui monteront au créneau et crieront à l’arnaque ("On nous vend une histoire qui n’a pas de fin !"). On n’en saura donc pas beaucoup plus sur le développement du récit même si le témoignage, en fin d’ouvrage, d’un représentant de l’éditeur japonais du mangaka nous en touche mots, mais on perçoit quand même dans ce qu’on lit la dimension émerveillée et reconnaissante que Taniguchi voulait atteindre. A la place, on se consolera avec un joli petit cahier graphique. Une page s’est tournée, Jirô Taniguchi ne produira plus. On saura juste que ce livre devait proposer une superbe histoire mais que c’est devenu, par la force des choses, un touchant adieu doublé d’un bel hommage.
 

Par Sylvestre, le 19 novembre 2017

Publicité