La manufacture des belles enveloppes

Rien ne va plus à la manufacture des belles enveloppes. Les machines tombent en panne alors qu’il n’y a plus d’argent pour les réparer, les banques veulent être remboursées leur argent alors qu’il n’y a jamais eu aussi peu de commandes. Quand il n’est pas au travail, Jack Cluthers, le propriétaire, rentre chez lui et retrouve sa femme qui ne veut plus qu’une seule chose : fonder un foyer. Peu à peu, tous ces tracas lui font perdre pied avec la réalité. Il croit entendre chaque jour, dans le bus qui le ramène chez lui, un de ses employés, a des conversations imaginaires et ses employés semblent, eux aussi, habiter dans un monde parallèle à la réalité.

Par geoffrey, le 14 novembre 2016

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Notre avis sur La manufacture des belles enveloppes

Co-fondateur de Drawn & Quartery, une maison d’édition montréalaise de BD indépendante, Chris Oliveiros a découvert de nombreux talents. On lui doit entre autres l’émergence de Guy Delisle, Seth, Julie Doucet ou Michel Rabagliati. D+Q a également fait connaître en Amérique du Nord les œuvres d’Adrian Tomine, Daniel Clowes, Chris Ware, Chester Brown, Tom Gauld et Astrid Lindgren. Mais revenons à sa BD.

La crise économique touche de plein fouet une entreprise de fabrication d’enveloppes dans ce qu’on devine être une ville d’Amérique du Nord. Son dirigeant s’entête dans une situation impossible : de moins en moins de clients, des machines vieillissantes, une concurrence qui rafle tout, des banques qui le harcèle. Cette mélasse le poursuit aussi chez lui puisque sa femme a elle aussi des projets en attente. A toutes ces sollicitations, Cluthers oppose deux réponses génériques : « je vais essayer… » et « tout est question de patience » et fuit le fiasco économique dans la fuite en avant et l’innovation perpétuelle à partir de petits riens. Ses employés ne sont pas indemnes. En premier lieu, le fidèle Hershel qui ne reste que parce qu’il n’est pas payé depuis une année. Il voit aussi d’autres entrepreneurs en train de se suicider du haut de l’immeuble qui abrite son travail et les encourage à sauter.

Kafkaïen, relevant de l’absurde, ce récit nous colle dans les pas de personnages plus névrosés les uns que les autres. Le propos de l’auteur n’est ni burlesque, ni générateur de mal-être, il souligne ce que peut être la vie d’une entreprise où chacun vit dans un monde parallèle. Même s’ils fréquentent les mêmes lieux, s’ils se croisent physiquement et peuvent sembler partager des buts communs, chacun demeure dans une logique propre et peut ne jamais rencontrer l’autre.

Surtout, il met le doigt sur l’absurdité de la course en avant de notre époque, celle qui impose, que ce soit au travail ou à la maison, de viser la performance, de poursuivre coûte que coûte. Quitte à s’enferrer dans un univers parallèle, une réalité annexe. Pour ne pas regarder l’échec en face, pour ne pas s’avouer battu.

Côté dessin, mis à part un manque de distinction au niveau des personnages qui disparaît en seconde lecture, Oliveiros déploie une ligne claire savamment ondulée au style maîtrisé. Celui-ci possède un charme rétro qui colle à l’ambiance de ce passé des années 1920-30. Cette bande dessinée cultive ainsi tous les atouts d’un classique.

Par Geoffrey, le 14 novembre 2016

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