La technique du périnée

L’album s’ouvre sur une pleine page. Le paysage est désertique, le ciel jaune et barré d’un monolithe beige. Le bord de la case est tremblé, s’agit-il d’un rêve ? On comprend rapidement que non, pas d’onirisme dans cet album mais la représentation métaphorique des relations sexuelles. JHSympa et SarahChaude se masturbent chacun derrière leur écran d’ordinateur et se quittent une fois la jouissance atteinte. La technique du périnée conte l’histoire de la rencontre de deux trentenaires adeptes du sexe virtuel avec un parti pris formel qui est le véritable atout de l’album. On connaît Ruppert et Mulot pour leurs bandes dessinées expérimentales chez l’Association, cette BD chez Air Libre est l’occasion pour un public moins restreint de découvrir leur travail.

Plus que le questionnement de la pratique d’une sexualité par écrans interposés, c’est le défi de comment représenter le sexe en images que se posent les deux auteurs à la fois scénaristes et dessinateurs. Le texte est particulièrement cru et sans complexe. Pas de tabou entre les personnages ; mais pas de dessin de l’acte sexuel alors qu’il s’agit du sujet même de l’histoire : sur écran ou papier qu’elle différence ? Cela créer un décalage particulier source d’une constante ambigüité entre ce que le lecteur voit et « entend » (via les dialogues). Virtuel ou physique, l’entrelacement des corps est matérialisé par un symbolisme parfois outrancier qui n’est pas sans faire écho directement à la profession de JH. Une porosité directe existe entre la vie des personnages et les choix esthétiques des auteurs. JH est en effet vidéaste d’art contemporain et certaines des représentations des rapports sexuels entre Sarah et JH seront ensuite intégrées dans les vidéos de l’artiste. Ruppert et Mulot montre un réel talent pour faire vivre l’art de la vidéo sur le papier. Découpage, cadrage et montage sont des aspects de la mise en scène qu’on retrouve à la fois au cinéma et en bande dessinée. L’exemple de la vidéo des doigts est un moment d’expérimentation fascinant sans qu’il ne verse dans l’exercice de style. Mais si le milieu très fermé de l’art contemporain est ici un atout, il incarne aussi la limite du récit. On peine à s’identifier aux personnages et leurs petites misères sexuelles nous laissent finalement indifférents.

Une fois l’album refermé, l’aspect du sexe virtuel n’ai qu’un écran de fumé où se projette une histoire d’amour banale et intemporelle.

A noter qu’il existe un tirage spécial de l’album, enrichi d’un très beau dessin sur papier Rives Shetland Naturel 250g et signé des deux auteurs, au nombre de 777 exemplaires.

Par melville, le 17 mai 2014