Le passage

Avec la volonté d’amener un ensemble de projets distincts les uns des autres, mais liés par une sorte d’esprit commun, Jeff Lemire et Andrea Sorrentino nous présentent ce premier volume (qui sort en même temps que "Des milliers de plumes noires") qui contient deux récits auto-conclusifs.
L’idée c’est de davantage nourrir des récits aux ambiances horrifiques, ou tout du moins qui évoquent des mystères inquiétants, sans pour autant donner toutes les pistes de lecture. Le lecteur doit pouvoir décrypter tout seul ces fins quelque peu obscures. Car il faut bien le dire, autant les récits sont extrêmement bien menés, autant les fins restent ouvertes à la réinterprétation, on n’a pas toutes les clés de compréhension. Dans l’absolu, je trouve ça bien, mais le procédé est assez facile, au final.

Ainsi, on aurait aimé en savoir un peu plus sur la silhouette que croise l’homme dans la première histoire, ainsi que sur la nature de ce "passage", dans la seconde. Toutefois, tout tient aussi sur les personnages et l’évolution de leur "humeur" au fur et à mesure que nous lisons les planches. On sent l’inquiétude augmenter, le frisson, les questions sans réponse, que se passe-t il exactement ?
Jeff Lemire entretient particulièrement bien cette inquiétude grandissante qui nous prend aux tripes. Les personnages sont à la base en période de doute, chacun de leur côté. Que ce soit l’écrivain qui vit une relation extra-conjugale, mais qui doit absolument trouver l’inspiration pour son prochain livre, ou le jeune géologue qui doute, qui voit des figures du passé le hanter. Ces périodes de fragilité servent de ferments pour le cauchemar qui les enveloppe petit à petit.

Beaucoup de finesse dans l’écriture et une très grande audace formelle graphiquement font de cette lecture un très agréable moment de lecture, même si, encore une fois, on garde le sentiment de rester sur notre faim en refermant les dernières pages…

Par FredGri, le 24 avril 2023