LE PASSEUR

Alors que le mois de décembre est presque arrivé, Jonas a quelque inquiétude. En effet, le garçon va sur ses douze ans et à cet égard, il va devoir participer à la grande cérémonie durant laquelle il va connaître son affectation. En effet, comme son père et le père de son père l’ont vécu au même âge, la Commission des Sages va déterminer en fonction de ses aptitudes à voir des « choses » son futur métier. Lors de la cérémonie des douze, devant une assemblée composée des groupes de chaque année, la doyenne en chef procède aux nominations. Jonas finit par se voir attribué avec surprise le poste de receveur de mémoire, un poste unique qu’il va devoir découvrir en suivant la formation du vieux receveur en place, seul et à l’écart de la communauté. Après l’avoir accepté avec une certaine appréhension et pris connaissance les règles à suivre, le garçon entame son apprentissage. Jonas va bientôt découvrir le véritable rôle du receveur, sorte de gardien des souvenirs du monde entier. Considérant l’énorme poids que représente cette mission, le jeune receveur s’en inquiète. Si les premières transmissions se révèlent agréables, les suivantes se découvrent dans la pire des cruautés. Est-ce que Jonas pourra arriver aux termes de sa formation ? Et si un autre choix lui était offert, serait-il à-même d’aller à l’encontre des préceptes anciens de la Communauté ?

Par phibes, le 14 janvier 2024

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Notre avis sur LE PASSEUR

Le passeur est une adaptation du roman à succès de l’autrice américaine Lois Lowry paru initialement en 1993 et à plusieurs reprises récompensé. Fort de cette notoriété et également de son originalité, P. Craig Russell, artiste au talent lui-même reconnu dans le domaine de la bande dessinée américaine, s’est saisi de cette histoire et l’a donc adapté sous la forme illustrée. Editée originellement en 2019, sa production se voit désormais publiée en langue française.

Le travail réalisé est on ne peut plus conséquent et met en lumière un récit intelligent mêlant subtilement science-fiction et réflexion sur l’humanité. Dès les premières planches et par l’intermédiaire de celui qui va animer les péripéties, Jonas, on part à la découverte d’une communauté particulièrement aseptisée dans laquelle l’harmonie semble avoir pris sa place. Pas de guerre, pas de chômage, pas de conflit… Alors que le jeune héros se prépare à obtenir, du haut de ses onze ans, le rôle dans la société, de nombreux flash-back nous permettent de comprendre l’architecture de celle-ci et son mode opératoire très contracté.

Dans une tonalité volontairement « creuse », on parvient à appréhender le fonctionnement de cette communauté qui, à bien des égards, a de quoi surprendre. Les personnes ont totalement perdu leur libre-arbitre et obéissent aveuglement, sous peine d’être délié, à des règles strictes que l’on peut qualifier de dures. Assurément, le monde de Jonas interpelle et son atonie dérange au plus haut point, jusqu’à se poser toute sorte de questions sur la privation de liberté, sur le manque de discernement de ses adeptes…

L’on concèdera que cette radiographie est on ne peut plus profonde et peut se révéler assez difficile à accepter. L’évocation a l’avantage d’être très littérale et peut en quelque sorte déboussoler le lecteur. Ce n’est qu’à partir du moment où Jonas obtiens sa nomination que le récit prend une tournure plus enlevée, plus dense, surtout lorsqu’elle suscite un vent de révolte et instille de l’amertume. En effet, c’est grâce à son initiation de receveur de mémoire et la transmission des souvenirs que Jonas va ouvrir les yeux sur l’articulation de sa communauté et le pousser à réagir.

On saluera également la superbe prestation de P. Craig Russell dans la mise en images de cette adaptation. L’artiste associé Galen Showman et Scott Hampton, a opté pour un dessin réaliste très sensible. Celui-ci traduit parfaitement l’atonie de la communauté de Jonas au moyen d’un coup de crayon sans relief sauf dans des cas précis, où la couleur fait subtilement son apparition grâce à Lovern Kindzierski. C’est à la fois beau et dérangeant, tant l’expressivité/la non-expressivité des personnages est frappante. Les regards peuvent être profonds comme être vides et à ce titre, P. Craig Russell montre qu’il maîtrise son sujet.

Un excellent album à lire absolument certes pour son originalité mais également par le fait qu’il ne pourra pas, eu égard à sa thématique philosophique profonde, vous laisser indemne.

Par Phibes, le 14 janvier 2024

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