Le Tour de Valse

Le tour de valse c’est l’expression qu’on a donné aux deux heures de rencontre mensuelle accordées aux hommes et aux femmes emprisonnés dans des camps. La première image abrupte de cette situation montre l’inhumain et la cruauté.
A un moment donné, dans la vie, dans des situations extrêmes, tous les costumes tombent. Plus d’image à préserver. Plus rien n’existe réellement. Totalement désinhibés par la force des choses, les plus forts vont tirer parti de la moindre illusion.
L’amour en est une. Le tour de valse en est une autre.
Chacun se raccroche comme il peut à la dignité, et la sincérité que les uns et les autres se donnent pour s’aider à ce moment précis de faire l’amour durant ces deux heures, les rapproche et leur permet de ne pas oublier qu’ils sont aussi des hommes et des femmes. Ces comportements proches du désespoir sont racontés avec dureté et le dessin amplifie largement le climat de souffrance qui existe dans ces camps. Le récit de Lapière parle principalement d’amour. Il en parle de telle façon, en lui donnant une telle force que tout à coup, tout paraît indestructible.
Cet album parle autant de la guerre, des camps de rééducation, du socialisme… Il est très touchant et très fort du point de vue émotionnel. Le Tour de Valse est un murmure, une longue plainte étouffée. Pas de cris, beaucoup de résignation, beaucoup de respect aussi.
L’histoire est terrible, elle fait couler les larmes et elle restera longtemps dans ma mémoire. A lire absolument.

Par MARIE, le 9 octobre 2004

Kalia est belle, elle travaille dur dans ce petit village et je regarde sa silhouette se faufiler entre les maison, le regard perdu. Kalia, c’est toutes ces femmes qui se perdent dans le souvenir de leur homme emprisonné, qui espèrent et se répètent sans cesse qu’un jour il sera là devant elle.

Le monde autour de ces êtres est un monde de folie, les « camarades » se donnent des airs supérieurs, jouent avec les vies de ces pauvres gens qui ne rêvent que d’être heureux, au moins dans les bras de leur famille.

Alors, d’un côté il y a cette femme qui ne peut se résigner à rester une victime, qui décide de partir retrouver son Vitor, elle part seule et commence à écrire une longue correspondance avec ses deux enfants.

Dans les mots qui se tracent sur le papier se dessinent la vie et les résolutions de cette « heroïne » hors du commun, complètement dépassée par cette Histoire qui déforme son époque.

Ensuite, nous avons un homme qui se résigne à passer sa vie dans les camps de travail soviétiques, il marche au pas, se tait et son regard, progressivement, se barre d’un voile gris et triste, qu’importe s’il s’appelle encore Vitor, il avance dans la boue et c’est tout. On vient d’instaurer, pour les meilleurs travailleurs, « le tour de valse », deux heures ou l’on retrouve, même furtivement, certaines sensations oubliées, une possibilité de redevenir un homme et souffler en n’oubliant pas combien il est agréable de carresser une épaule. Vitor, donc, tente d’effacer de sa mémoire cette femme qui l’attend, ces enfants qui lui ressemblent, tout est perdu par-ici, il n’existe même plus dans ce monde ou il ne se reconnait pas.

« Le tour de valse » c’est l’histoire de ces deux personnages tragiques, une sorte de Pénélope qui attend son Ulysse, les victimes d’une époque déchirée, injuste, ou l’avenir se profile bien sombrement !

Une nouvelle fois, Denis Lapière montre l’étendu de son talent de conteur. Ici, rien à voir avec Luka, rien à voir avec Ludo, les « héros » de cet album croient à peine à leur propre histoire. Sous des dehors d’histoires d’amour c’est avant tout un constat sur cette Histoire bouleversante qu’il pose, quelle place laissa t-elle à ces hommes qui traversaient la rue sans rien dire ? Les idéaux n’étaient ils pas passés à côté de quelque chose de plus essentiel ? est-il important d’espérer ? A ce niveau là la couverture est particulièrement bien conçue, entourés de deux barbelés un couple s’embrasse, le tout dans des couleurs terre/sang…

De son côté Ruben Pellejero est lui aussi particulièrement à sa place, habitué à ces histoires profondément humaines il entraîne notre oeil vers des zones colorées qui s’opposent à des teintes plus sombres, les contrastes, les ombres et les expressions nous transportent dans une campagne rudes, ou la boue est palpable, ou elle salie la moindre étoffe, on entend traîner les pieds sur un chemin et les chuchotements dans le coin d’un mur.

« Le tour de valse » reste dans mes mains, il me rappelle « Un peu de fumée bleue » du même tandem, un autre album remarquable. Décidemment, la BD n’a pas fini de me surprendre avec ces bijoux qui se dressent au milieu de toute cette production !

Merci messieurs Lapière et Pellejero !

Par FredGri, le 5 janvier 2005