Les damnés du grand large

En décembre 1809, un homme se dirige vers un estaminet à proximité d’un port. Il est conteur et propose de bénéficier d’un repas gratuit contre histoire narrée. S’étant dévêtu pour mettre en évidence son corps tatoué, il entame sa narration sur une épopée terrible qui s’est déroulée vingt ans auparavant et qui s’est transformée en folie meurtrière.

C’était en 1789, Rêveur se trouve à bord de l’Alicante. Alors que le navire se bat contre une très forte houle, le jeune garçon dessine en extrapolant ce qu’il perçoit. Il en vient donc à représenter des scènes monstrueuses qui ne sont pas du goût des marins qui l’entourent. Appelé pour débloquer deux hommes pris dans les drisses, il disparaît tandis que l’équipage découvre l’un des leurs pendu à une vergue avec un A inscrit sur sa tête avec du sang. La stupeur est évidemment de mise surtout pour ceux qui faisaient partie de sa bande de brigands. Lors de la nuit suivante, un autre marin qui appartient à ce groupe terrifiant perd mystérieusement la vie. Il est retrouvé gisant dans son sang avec une lettre A sur le front. Rêveur en donne sa représentation illustrée, une représentation à nouveau monstrueuse qui bien sûr influe sur le moral de l’équipage. Le bateau serait-il maudit ou s’agirait-il d’un règlement de compte entre bandes ou y aurait-il quelque vengeance sous-jacente ?

Par phibes, le 26 août 2022

Notre avis sur Les damnés du grand large

Romancier de la première heure et amateur de récits mystérieux (on lui doit À la recherche de Mary Easterway), Kristof Mishel s’essaie cette fois-ci à la bande dessinée et vient offrir à la collection Drakoo une de ses nouvelles créations animées graphiquement par Béatrice Pencho Sechi.

Fidèle à ses univers qui l’inspirent, le scénariste profite de cet album pour nous plonger dans une énigme de l’époque du 18ème siècle inquiétante qui mêle avec une réelle harmonie légendes marines et thriller. Grâce à la narration portée par un curieux personnage tatoué, le lecteur se voit faire partie d’un auditoire très particulier (celui de marins analphabètes) pour se voir plongé dans un récit sombre où la mort a un rôle de premier ordre à jouer.

Kristof Mishel œuvre avec une habilité profitable en mettant en scène un jeune garçon aux interprétations picturales pour le moins choc. Par ce dernier, les péripéties mortelles qui suivent donnent l’impression de prendre une orientation fantastique au point de se poser la question si l’Alicante ne va pas rencontrer le Kraken ou flirter avec les démons. Mais le scénariste en a décidé autrement puisqu’il fait l’effort de rester dans des prédispositions certes dynamiques mais plus réalistes tout en jouant adroitement sur un suspense exponentiel subtilement pesant.

Pourquoi donc cette tuerie qui décime la bande du port ? Pourquoi cette lettre A ? Quel est le rôle effectif de Rêveur, fortiche en dessins et en explications monstrueuses ? Un questionnement pratiquement permanent est donc de mise jusqu’à ce que les réponses soient délivrées dans les dernières planches avec un final particulièrement bien trouvé. L’intrigue est diabolique à souhait et ses circonvolutions obscures piquent véritablement notre curiosité.

Œuvrant aux dessins et à la couleur, Béatrice Pencho Sechi effectue un travail remarquable. Usant d’un style semi-réaliste soigné, l’artiste joue adroitement sur le détail de ses vignettes (ses représentations des navires), mettant en évidence des décors bien complets, selon des plans audacieux. Pareillement, ses personnages aux gueules stylées dénotent une certaine dureté caractérielle hormis Rêveur qui a une tête d’ange et qui a toutefois ses secrets.

Une histoire vindicative complète mortellement efficace qui produit ses effets et qui pourrait être suivie d’un deuxième récit, car le fameux narrateur en a certainement d’autres dans sa besace, en commençant par l’origine de ses tatouages.

Par Phibes, le 26 août 2022

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