Les Fusibles

En refermant la dernière page de ce très touchant album, on reste encore le souffle coupé. Après tout, l’espace de ces quelques 176 pages, on a évolué dans des ambiances à la fois émouvantes, mais surtout incroyablement sincères.

Nous suivons deux copains d’enfance, Abel et Georges, ados ayant grandi au Liban, entre les rues de la ville ou tout le monde se connait, les bâtiments ou il faut courir toutes les 20 mn pour aller réenclencher les fusibles et les alertes nocturnes qui inquiètent tout le voisinage. Ce contraste rythme la vie de ces amis, il s’inscrit dans leur mémoire, et quand leur amie Sarah leur propose d’aller jouer aux héros en organisant une petite patrouille nocturne afin d’aller rallumer les disjoncteurs pour aider le quartier, ils s’imaginent que leur vie peut peut-être être différente.
On fait soudain un bond de trente ans dans le futur. Abel vit à Paries, Georges est resté au pays, il travaille à la mairie et croit encore qu’il est possible de changer les choses, ou tout du moins d’être utile. Abel a laissé tout ça derrière lui, sa vie c’est dorénavant sa fille Billie, son travail et ses amis parisiens. Se souvenir le rend amer, lui ramène en mémoire des évènements trop durs, une époque, une violence et la disparition d’un enthousiasme juvénile. Il n’a jamais été un héros, et il ne le veut plus. Quand son ami lui demande de venir passer quelques jours chez son père, comme avant, l’épreuve lui est pénible, il commence par refuser, mais devant les supplications de Billie, il cède.

Joseph Safieddine ne se lance pas dans un grand discours pro quoi que ce soit, il témoigne juste, par le biais de ses personnages d’un parcours de vie entre deux cultures ou la mémoire est malmenée, confrontée à une réalité extrêmement dure, un pays en perpétuelle remise en question, à la culture très riche, mais ou la population peine à résister à la violence des conflits qui ne cessent de ravager le quotidien.
L’écriture reste sans emphase, toute entière axée autour des deux amis, véritables témoins de leur époque, de leur histoire. On se laisse porter par la sincérité du propos, par la justesse des interrogations auxquelles ils sont confrontés.
Graphiquement, le trait est juste, avec un très beau traitement minimaliste, en tonalités grises, et une vraie fluidité narrative qui fait merveille !

On referme l’album, ému et bouleversé, d’autant que la fin fait son petit effet.

Une très belle découverte ! Très conseillée.

Par FredGri, le 17 avril 2023