Les Mystères

« Il y a fort longtemps,
la forêt était sombre et impénétrable.
Là,
nimbés de ténèbres,
vivaient les Mystères.
Jamais personne ne les avait vus,
mais ils semblaient être partout…
… Pour se protéger,
on bâtit d’immenses remparts…« 

Par fredgri, le 28 octobre 2024

Notre avis sur Les Mystères

Voilà pratiquement 30 ans que Bill Watterson a arrêté Calvin & Hobbes, au grand désespoir de ses fans. Il y a 10 ans, il remporte le Grand Prix d’Angoulême, nous permettant ainsi d’espérer qu’un jour, peut-être… Il faudra donc attendre 2023 pour voir arriver ce nouveau projet: Les Mystères, réalisé à quatre mains avec l’illustrateur John Kascht.

Mais contre toute attente, il ne faut pas s’attendre à un projet qui ressemble de près ou de loin à Calvin et Hobbes. Il s’agit ici d’un conte métaphorique écrit par Watterson et mis en image par le duo. Cependant, comme on peut le voir sur son site, John Kascht a réalisé une série de têtes en sculpture, se rapprochant de son propre travail de caricaturiste, afin de servir de base pour les dites illustrations. On devine aisément ensuite le travail de mise en scène, avec les réglages de lumière, les textures rajoutées et la finalisation avec des rajouts de décors, des ambiances ténébreuses, pour finalement obtenir des images de toute beauté, étranges passerelles vers un univers sombre, plongé dans une sorte de brouillard moite.
Si cette collaboration très personnelle montre combien les deux artistes ont su créer un style commun aux antipodes du leur, elle déstabilise par son ampleur et son apparente (et fausse) naïveté. En effet, l’album met en scène une succession d’illustration, sur la droite, accolée à des textes très courts, sur la gauche. Il nous est raconté que dans une contrée lointaine, il y a une forêt qui abrite des créatures que personne n’a jamais vues, appelées des Mystères. Les gens en ont peur au point de construire des remparts autour de leur village, amenant même le roi à organiser des expéditions pour se débarrasser de ce danger qui les menace. Mais un jour, un chevalier revient, prétendant avoir réussi à capturer un des Mystères… Alors que se révèle à eux le visage de la « bête », ils découvrent un être d’une grande banalité, qui n’a absolument rien de terrifiant…

Watterson pointe ainsi cette bêtise humaine qui imagine un hypothétique danger, tapi dans l’ombre des arbres, quelque part, sans en avoir la moindre confirmation, juste des rumeurs, des on-dits. On érige des murs pour se protéger, on calfeutre les fenêtres, on surveille l’orée des bois, on se fige, on tremble sans véritable raison. Puis quand on pense avoir percé le secret de cette inquiétude, quand on a le sentiment d’être enfin tranquille, on baisse la garde, le château fortifié se transforme en ville ouverte, les routes s’allongent, les chevaux sont remplacés par des voitures et lentement l’imaginaire se rationalise. On a l’impression qu’il n’y a finalement plus d’ombres inquiétantes dans la forêt d’à-côté, qu’il n’y a plus de Mystères…
Le propos apparait ainsi double. Car bien plus que de simplement pointer la superstition de l’homme, les auteurs nous parlent d’un monde qui a oublié cette part d’inconnu dont on ne distingue pas vraiment les contours, qui alimente les contes, tout ce folklore basé sur ces peurs étranges, impalpables, qui peuvent prendre l’apparence d’une sorcière, d’un ogre ou de quelques farfadets galopants entre les troncs.
Rationaliser le monde qui nous entoure, vouloir lui donner systématiquement un visage, c’est avant tout nous rassurer, mais aussi en limiter l’aura fantastique.

Ainsi, sous ses dehors de fables, Les Mystères s’interrogent sur la grande désillusion de la civilisation moderne face à l’imaginaire. Un album illustré ou il ne faut peut-être plus chercher la silhouette d’un petit garçon et de son tigre, mais plutôt d’un tas de petites créatures qui, peut-être, se demandent bien ce que le monde autour d’elles a pu devenir.

S’agit-il vraiment du retour de Bill Watterson ? Peut-être pas, mais en tout cas, ce petit album se révèle une très belle surprise.

Par FredGri, le 28 octobre 2024

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