Les Mystérieux Voyages de Cornélius Dark

Si l’on connait Alberto Breccia pour Perramus, pour Mort Cinder, pour son magnifique album sur Dracula, on en oublie qu’il a beaucoup produit pendant près de 60 ans et que son œuvre est ponctuée de dizaines de projets ou il a pu, vers les années 70, commencer à expérimenter de nouveaux langages. Partant du principe que chaque récit amène un regard différent, un traitement qui lui est propre, il a au fil des années quitté le conformisme de ses premières années plus alimentaires pour tenter des choses, du collage, de la couleur directe, du lavis, un encrage plus vif…

Avec ces Mystérieux voyages de Cornélius Dark, Breccia s’adjoint la complicité de Carlos Trillo. L’Argentine est alors sous la coupe de la junte et ils ont de nombreux amis qui sont eux-même emprisonnés. Cornélius Dark est en quelque sorte un hommage à ces artistes qui ne peuvent s’évader autrement que par le biais de leur imagination, explorant des ambiances diverses, le passé, des époques ou ils peuvent à nouveau s’exprimer.

Si le personnage ne garde, malgré tout, qu’une position de témoin, qui n’agit que très peu sur les évènements, il n’en reste pas moins le dépositaire d’une émotion, d’un regard par lequel ceux qu’ils croisent peuvent gagner en profondeur. Que ce soit ce chevalier défiguré qui fuit la femme qui l’aime, ou encore cette vieille prostitué qui rêve des bras d’un jeune et beau français… Chaque histoire est le reflet d’une désillusion, une perte, une trahison, un amour maudit. Cornélius voyage intérieurement, certes, mais tout reste ancré dans une réalité social, dans une ambiance sombre et parfois inquiétante, comme ce que traversait le pays à cette époque. Sans le faire trop directement les auteurs dénonçaient les dérives d’un régime liberticide et déshumanisant, qui muselait la liberté d’expression !

Ces mystérieux voyages ne font peut-être pas partie des œuvres majeures de leurs auteurs, il n’en reste pas moins que l’album est un vrai régal, pour peu que vous appréciez le travail de Trillo et Breccia ! On attend avec impatience la traduction des autres travaux du dessinateur qui n’ont pas encore traduits !

Indispensable !

Par FredGri, le 31 janvier 2022