Les Ouïghours, un peuple qui refuse de mourir

 
Le Xinjiang est un territoire riche en de nombreuses matières premières très convoitées. De nombreux pays lorgnent donc bien évidemment sur ce morceau de planète dont les ressources n’ont pas encore été siphonnées à mort, mais à part ça : rien. Nada. Un peuple entier y est martyrisé, humilié, violé, assassiné, mais tout le monde s’en fout et (surtout…) la Chine est un partenaire économique trop important pour qu’on lui fasse payer ce génocide qu’elle orchestre en ses confins ouest ; un génocide qu’elle minimise et justifie par ailleurs en disant agir pour répondre aux attentats commis par les Ouïghours contre les Chinois Han.

D’autres peuples sur Terre sont sans arrêt piétinés ; on pense par exemple aux Palestiniens. Or, ces peuples sont des viviers de personnes désespérées qui un jour n’auront plus rien à perdre et commettront des actes qu’on condamnera en ayant oublié la source de leur révolte et les injustices dont ils sont les victimes. Dans cette BD, c’est parlant et c’est même flippant quand Dolkun admet que la tentation djihadiste est très forte puisque le terrorisme devient un moyen "de la dernière chance" pour eux de s’exprimer quand tous les autres canaux de négociation sont à chaque fois des impasses et quand les pourparlers restent sous le sceau du secret et donc absolument sans impact sur l’opinion publique. C’est là un autre problème pour les Ouïghours. Ils n’ont pas la cote… Pas autant que leurs voisins tibétains qui subissent eux aussi une sinistre sinisation forcée. Parce qu’ils sont musulmans et qu’ils sont donc associés par les Occidentaux (et à dessein par le gouvernement Xi Jinping) au terrorisme islamiste à des années-lumière duquel ils sont pourtant, à la base.

On sent la détermination d’Éric Darbré, on sent aussi son impuissance ou la difficulté qu’il a à mobiliser. Il est une fourmi qui veut araser la montagne, et qui n’y arrivera pas tout seul. Ses doutes trouvent malheureusement écho dans les personnes dont il veut plaider la cause, elles-mêmes se sentant écrasées par un système contre lequel elles ne peuvent rien ou si peu. Ou à quel prix… En tant que lecteur, on peut donc être un peu déçu à la fin de cette lecture que rien ne soit raconté qui montre que les Ouïghours ont enfin été entendus et peuvent enfin rêver légitimement d’un futur meilleur. Eh non : pour le happy end, passez votre chemin. Mais c’est bien là le problème : c’est que le calvaire des Ouïghours est toujours en cours, qu’ils sont toujours des millions à être exploités "par des grandes marques" ou dans des camps d’internement administrés par Pékin. Ce qu’Eric Darbré veut donc nous dire, c’est que c’est à nous aussi de prendre le flambeau et de condamner à notre tour les injustices faites aux Ouïghours.

Mais un drame invisible n’intéresse pas s’il n’est pas au moins un peu documenté, si les gens ne peuvent pas savoir et comprendre. Les choses semblent bouger un peu, cependant, heureusement, et quelques témoignages rares autant que précieux existent désormais, notamment le livre de Gulbahar Haitiwaji Rescapée de l’enfer du goulag chinois ainsi que quelques autres ouvrages accessibles au grand public se comptant sur les doigts de la main. C’est pour ça que cette BD existe. C’est pour qu’un autre appel soit lancé, puisse-t-il être entendu. Les Ouïghours, un peuple qui refuse de mourir, d’Eric Darbré, mis en images par Éliot Franques, vise à son tour à "faire du bruit" pour réveiller les consciences.
 

Par Sylvestre, le 23 novembre 2022