Les yeux doux

La ville n’est qu’enchevêtrement de rues exiguës, parcourues inlassablement par tous ceux qui se rendent à leur travail d’usine, surveillés en permanence par les Yeux Doux, un système de caméra qui observe chaque mouvement, chaque potentielle infraction, ou chaque écart est sévèrement puni… Que ce soit Arsène qui se fait virer après avoir arrêté une machine sans l’accord de sa hiérarchie ou Anatole qui, après être tombé amoureux d’Annabelle qui venait de voler une pomme, est renvoyé pour avoir falsifié les preuves afin qu’elle soit libérée… Tous les trois découvrent alors l’existence d’une société parallèle, construite pour accueillir les reclus de toute sorte: « le Jardin des bennes »…

Par fredgri, le 1 septembre 2024

Notre avis sur Les yeux doux

Les yeux doux explore un univers dystopique géré par un certain nombre d’entreprises qui tiennent la population enserrée dans un ensemble de règles, sous la surveillance perpétuelle d’un ensemble de caméras dans tous les coins. Pour engourdir l’esprit de ces citoyens, on a placardé partout sur les murs de belles affiches ou sont représentées d’avenantes pin-up. Dans ce cadre, on suit trois individus qui sont brusquement écartés de ce système. Ce qui correspond ni plus ni moins qu’à les marginaliser et donc en partie à les invisibiliser au cœur d’une société qui prône la productivité et l’obéissance inconditionnelle.

Alors, en effet, la critique d’un tel univers n’est pas nouvelle, la littérature s’est nourrie depuis des décennies de ces dénonciations, il suffit de penser aux évidents 1984 d’Orwell, Le meilleurs des mondes de Huxley ou encore Nous de Zamiatine pour comprendre que bien plus que des œuvres isolées, c’est un thèmes important qui montre les travers de nos sociétés modernes engluées dans une marchandisation de l’être humain qui tend à ne plus tenir compte de l’individu en tant que tel.
Cet album s’inscrit donc dans une tradition fictionnelle forte et aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Toutefois, on a aussi le sentiment que la démarche se banalise à force de redondance. Certes, le propos reste pertinent et extrêmement riche en messages, néanmoins les projets dystopiques se multiplient et quelque part se répètent aussi. Malgré tout, j’avoue avoir apprécié la variante « au lieu de se battre, de détruire, construisons un monde meilleur » que prône Eleonore face à ceux qui envisagent l’anarchie comme un combat armé.

En attendant, et au-delà de ce cadre, le scénario nous prend vraiment aux tripes, avec des personnages attachants et une intrigue très accrocheuse. Au fil des pages, on glisse progressivement dans un récit qui questionne la vision que l’on peut avoir sur le monde qui nous entoure et la véritable signification de cette surcapitalisation. C’est intelligemment mené, avec une nouvelle fois un dessin très personnel bourré de charme.
Comment ne pas être séduit par ces planches très impressionnantes, par cette virtuosité dans la mise en scène, dans les cadrages et même si globalement cela manque peut-être d’expressivité, on ne peut qu’admirer le travail de Michel Colline (je vous conseille son excellent diptyque Charbon, d’ailleurs)

Un album vivement conseillé. Une des belles surprise de cette rentrée BD.

Par FredGri, le 1 septembre 2024

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