Lettre à Hergé

 
Adressée à Georges Rémi par Jean-Marie Apostolidès, une lettre d’une vingtaine de pages fait office de préambule, dans ce livre, au travail de différenciation des "trois Tintin" différents que l’auteur discerne.

S’appuyant sur l’importance de l’oeuvre de Benjamin Rabier dans la "généalogie artistique" du personnage de Tintin, revenant sur comment les première et deuxième générations de lecteurs de l’oeuvre de Hergé ont joué sur la mythification de celle-ci et abordant les Tintin futurs en nommant pour eux comme pionnier celui de Steven Spielberg, l’auteur nous offre un grand écart tintinesque : une lecture qui récolte des réponses et sème des questions pour qu’il y en ait toujours sur lesquelles se pencher…
 

Par sylvestre, le 19 mars 2013

Notre avis sur Lettre à Hergé

 
Le titre du livre est assez réducteur, somme toute : Lettre à Hergé. Même s’il est à la fois accrocheur par l’intérêt qu’il suscite auprès des lecteurs qui, dès lors, deviennent curieux de voir quelle peut justement être la teneur de cette lettre à Hergé. Tout va-t-il n’y être qu’écrits personnels d’un homme à l’attention d’un défunt autre ? Ou bien cette communication vise-t-elle à interpeller le père de Tintin sur son œuvre ? La portée de cette lettre est-elle généraliste ou pointe-t-elle des éléments précis ? Autant de questions que l’on peut se poser avant d’avoir ouvert le livre…

Plus que cette lettre (qui n’est pas une réponse à celle d’un Hergé expéditeur et qui n’en recevra jamais non plus dudit destinataire), ce sont en réalité plutôt les analyses présentées après qui font le gros de cet ouvrage ; des analyses qui se détachent très vite du genre et du style épistolaires pour revenir à la forme que l’on connaît à de nombreux essais de tintinologie : des trouvailles, des idées, des suppositions, des observations, qui toutes, judicieusement amenées par thème et importance, étayent alors la vision d’un point ou d’un autre que l’auteur souhaite porter à la connaissance et à l’approbation du plus grand nombre. Cette fois-ci, Jean-Marie Apostolidès traite des trois Tintin différents qu’il discerne :

1) Le Tintin d’avant celui qu’on connaît tous : un "Tintin-Lutin" né de l’imagination d’autres auteurs et qu’Hergé ira jusqu’à nier avoir croisé dans ses lectures alors qu’il pourrait en être tout autrement et que l’analyse de Jean-Marie Apostolidès invite à qualifier comme préhistoire évidente du reporter du Petit Vingtième.

2) Le Tintin que l’auteur sans doute préfère puisqu’il est celui des albums canoniques : un personnage et ses histoires (de papier et de chair et d’os) qui a su par son intemporalité accéder à l’enviable statut de mythe

3) Les Tintin que nous réserve le futur : ceux qui aux yeux de certains trahiront le mythe quand, aux yeux d’autres, joueront au contraire le naturel rôle d’adapter le mythe pour qu’il perdure…

Comme dans chaque écrit de tintinologue, le lecteur apprendra des choses et, ravi qu’on lui ouvre les yeux sur tel ou tel détail, se sentira l’âme de tintinologue aussi. Les plus érudits et avertis des lecteurs, ceux qui ont déjà tout lu et tout analysé, n’apprendront peut-être pas grand-chose mais il leur restera comme à chaque fois la joie d’apprécier la nouvelle approche de leur oeuvre fétiche par les mots et les idées d’un auteur qu’ils connaissent assurément.

C’est parfois un peu tiré par les cheveux : à se persuader que les hypothèses qu’il échafaude tapent dans le mille et pourraient devenir des vérités, l’auteur s’avance peut-être parfois un peu trop. Mais c’en est amusant, reconnaissons-le ! Car oui, ne l’oublions pas, c’est le jeu : n’est-ce pas, dans ce registre, à celui qui détectera le petit filon jamais exploité pour aborder sous un angle de vue jamais envisagé l’œuvre de Hergé par ailleurs tant passée au crible ?! Il y a comme un esprit de concours dans la succession des publications sur Tintin. Alors oui, forcément, c’est parfois mené un peu avec la technique dite "de l’aigle" ; qui vole au-dessus de sa future victime en décrivant dans le ciel des cercles qui se réduisent pour finir par ne plus cibler que la proie qu’il a en vue : l’auteur liste, croise, tourne et retourne tant d’idées et de réflexions "au-dessus" de son sujet qu’il finit à coup sûr par en tirer des éléments qui donnent du poids à l’hypothèse qu’il avance et qu’il a choisie pour qu’elle devienne soit une nouvelle vérité soit une piste (qui posait encore questions) tellement bien défrichée qu’on ne peut plus aller contre la conclusion de ce qui est démontré. Les tintinologues veulent toujours en faire dire plus à ce qu’ils étudient sans relâche. Ils pressent le caillou tant et si bien que de l’eau finit toujours par en sortir ! Leurs livres apportent des briques à l’édifice, et tant pis si c’est pour ajouter à cet édifice une pièce qui ne servira à rien puisqu’au moins, elle aura servi à ce qu’ils s’adonnent à leur passion et à ce que le fruit de leur travail soit partagé avec ceux qui attendent de croquer dedans ! Ça leur permet aussi de se citer les uns les autres, voire soi-même, ce qui donne encore plus de poids à leurs dires ; qu’on se voit mal mettre en doute vu qu’on n’a pas poussé aussi loin qu’eux de recherches sur le sujet.

Bref, vous m’avez compris : on reste dans le folklore intellectuel autour de Tintin, mais on aime ça ! Heureusement qu’il y en a qui cherchent encore sur le sujet : on n’a plus qu’à prendre plaisir à lire leurs découvertes et leurs révélations plus ou moins stables et plus ou moins alambiquées ! Oui, au-delà de l’esprit et du style auquel on adhère ou pas, vous aimerez cette Lettre à Hergé : parce qu’elle nous raconte une préhistoire à Tintin agréable à lire, parce qu’elle lance une réflexion sur le Tintin en motion picture (qui doit en ce moment faire noircir des pages à d’autres auteurs !) et parce qu’il maintient le mythe à flot. Encore et encore.

(Dessin de couverture par Aude Samama)
 
 

Par Sylvestre, le 19 mars 2013

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