L'œil du Marabout

Comme le rappelle l’auteur au début de l’album…
« Après de nombreuses années de lutte armée, le Soudan du Sud a officiellement acquis son indépendance en 2011, laissant entrevoir des perspectives de développement et de paix durable. Cependant, en décembre 2013, un conflit a éclaté à Djouba, la capitale, se transformant rapidement en une vaste crise politique et ethnique. Le président en exercice, Salva Kir, et son ancien vice-président, Riek Machar, se retrouvent à la tête de factions opposées.
Depuis lors, le pays est plongé dans une guerre civile incontrôlable impliquant principalement les groupes ethniques Nuer et Dinka, entraînant des milliers de morts et une situation humanitaire alarmante.
Plus de 2,5 millions de personnes ont été contraintes de quitter leur foyer. Certaines ont cherché l’asile en Éthiopie, au Kenya ou en Ouganda, tandis que d’autres ont choisi de rester, cherchant un abri dans les sites PoC (Protection of Civilians) gérés par les Nations unies.« 

En avril 2016, Jean-Denis Pendanx est invité par l’Unicef pour se rendre au Nord du Soudan afin d’y animer des ateliers tests dans le camp de déplacés de Bentiu. Ce fut, on le devine bien, une expérience de vie incroyable qui l’a fortement marqué, des rencontres, du partage, une immersion émouvante avec des populations extrêmement marquées par la violence de ces interminables conflits. L’artiste ressent le besoin, la nécessité d’en témoigner par le biais de cet album, construisant certes une fiction, mais surtout partageant avec nous la situation désespérante qui ravage la vie de milliers de personnes.

On découvre donc tout ça, par le biais de la jeune Nialony et de son grand frère Georges. Toutefois, l’idée n’est pas de nous sortir un cours d’histoire pour nous expliquer les tenants et aboutissants de ces conflits, mais plutôt de nous en montrer les conséquences directes sur la population, qui doit soit se laisser massacrer, soit abdiquer et rejoindre bien involontairement ces troupes de rebelles ou bien tenter de se réfugier dans un des camps gérés par l’ONU qui les aide à rester en sécurité en attendant une hypothétique fin de la guerre. Ces trois aspects de la problématique sont développées dans ces pages pour bien nous montrer la réalité au quotidien de ces gens qui ont tout perdu et qui doivent malgré tout survivre.

Alors oui, une partie du scénario est là pour servir de « prétexte », malgré tout, je trouve excellente l’idée de Pendanx de s’attacher à deux jeunes soudanais qui restent en retrait et qui sont à un moment donné victimes de ces dramatiques évènements. Elle nous permet de vibrer, d’être touché, sans se perdre dans une colère sourde et inutile. Le récit est suffisamment prenant, avec ce qu’il faut d’émotion pour ne pas rester insensible. L’écriture est à la fois rude et douce, on s’attache à la fillette et son innocence rafraîchissante, au caractère plus brut de son frère qui cache aussi une grande sensibilité. Plein de finesse dans ces portraits et le regard de l’artiste qui ne glisse jamais dans le voyeurisme.

Un très bel album, merveilleusement servi par des planches à l’aquarelle de toute beauté.

Très vivement conseillé, bien sur !

Par FredGri, le 22 janvier 2024