Mafalda - Intégrale 60 ans

Régulièrement réédité, au fil des années, ce remarquable volume est aujourd’hui proposé dans une version, pourrait-on dire, « définitive », dans le sens où, en plus du contenu rédactionnel déjà présent précédemment, Claire Latxague (qui a écrit une thèse sur l’œuvre de Quino) ajoute un dossier d’une douzaine de pages qui revient sur « l’itinéraire politique et poétique de Mafalda », développant les thèmes abordés et le sens profond du strip de Quino, en rapport avec son époque et la société dans laquelle évolua l’auteur, en parallèle.
Cet imposant recueil est donc l’occasion rêvée pour redécouvrir l’univers de la fillette et l’acuité de son regard sur le monde et la société qui l’entoure. Il résume en un bloc toute l’histoire de Mafalda et son incroyable impact populaire depuis sa création.

Très vite, la « série » se distingue par son caractère très politisé, prenant position sur les questions liées à l’éducation, la situation de la femme, la société, avec un jugement très dur sur le gouvernement et les dirigeants de manière générale ! Mafalda se démarque toutefois grâce à un humour extrêmement pertinent et d’une grande finesse. Quino observe sans concession les travers de ce qui l’entoure, assenant, par la bouche de Mafalda, ses idées humanistes désillusionnées !
Il faut dire que, dès les premiers strips, on est marqué par le côté rebelle de cette gamine qui remet en question la réalité et les certitudes des adultes, posant sans cesse des questions déstabilisantes, le plus naturellement possible et concluant sans détour par un bon mot ou un parallèle avec un sujet d’actualité !
En contrepartie, il apparait très vite que, malgré les enfants qui sont mis en scène, le propos reste profondément adulte. Quand on commande à Quino le personnage, qui devait, initialement, servir à promouvoir une nouvelle ligne d’électroménager, les « consignes » sont simples : une sorte de mélange entre les « Peanuts » de Schulz et le côté comédie de mœurs de « Blondie », et, selon moi, une pointe de rentre-dedans façon Nancy ! L’objectif est alors très clair : établir une bande qui puisse ouvrir vers un regard sur la cellule familiale, la société de consommation et le monde environnant !
Mais l’approche de Quino n’est pas là pour bouleverser la situation, il veut avant tout l’interroger, redéfinir ses bases et amener le lectorat à progressivement se poser lui aussi des questions, à s’ouvrir l’esprit… Le tout avec un humour incisif et franc du collier !

Bien sûr, il ne faut pas lire ce volume d’une traite, il faut en profiter petit à petit, quelques pages à la fois, en prenant le temps de respirer, de savourer. On est tout de suite touché par la justesse de ces bons mots et la dérision qui s’en dégage. C’est fascinant et incroyablement subtil dans la forme.

Bien sûr, les discours de la fillette peuvent paraître déplacés dans la bouche d’une enfant, mais c’est un peu le même principe qu’avec les Peanuts, jouer sur la fausse innocence enfantine pour asséner des vérités qui pourraient être moins décalées chez des adultes. Malgré tout, Mafalda garde les pieds sur terre, elle reste très directe, sans embellir inutilement la réalité. Elle n’a justement pas cette naïveté abstraite propre aux enfants. Devant ses raisonnements s’effondrent un à un les fondements d’un monde d’adultes ! C’est exactement parce que rien ne résiste à ses conclusions que l’humour de ces strips fonctionne aussi bien et si efficacement ! C’est imparable !

Tout en restant une très très bonne affaire (35€), ce volume est irrémédiablement un indispensable par son incroyable exhaustivité et l’intelligence fine et profonde qui en résulte.

Vivement recommandé.

Par FredGri, le 23 décembre 2024