MEMOIRES DE GRIS

Dans la province de Gris, le chevalier Pierre de Brume est de retour après sept ans passés aux croisades. Blessé profondément dans sa chair et dans son esprit, il est soigné au manoir familial de Brume, veillé par son ami Will. Rétabli, Pierre retrouve sans plaisir son sinistre père ainsi que le domaine exsangue qu’il gère. Ses pensées vont rapidement à Marion, son amie d’enfance qui est venue le soigner et qui habite une demeure isolée près de la forêt de la Malvern. Malheureusement, eu égard aux terribles moments vécus précédemment ensemble, cette dernière ne veut plus le voir. Pierre décide d’aller se présenter au bailli Randolf d’Artois à Griserive. Après avoir été pris à parti par des brigands masqués, le chevalier finit par rencontrer le gouverneur de la province auquel il lui fait part de ses regrets sur la grande misère qui grève durement la région. L’effort de guerre étant primordial pour le royaume, le bailli n’hésite pas à lui réclamer les taxes impayées par son père. Aussi, pour prouver sa bonne foi, Pierre propose de mettre son épée au service de Randolf pour escorter un convoi qui doit passer par la sombre forêt de Malvern. Cette mission dangereuse va lui permettre de croiser à nouveau le chemin de Marion, un chemin détourné qui va faire ressurgir leurs démons.

Par phibes, le 27 octobre 2024

Publicité

Notre avis sur MEMOIRES DE GRIS

Sylvain Ferret, à qui on doit préalablement sa trilogie anticipatrice Talion, revient cette fois-ci dans des dispositions plus sombres en nous plongeant dans un récit aux accents médiévaux prononcés, au cœur duquel la destinée de deux êtres va se jouer. Prenant pour base historique la troisième croisade, l’auteur nous transporte rapidement dans la province française, celle de Gris, où les éléments vont se déchaîner.

Dès le départ, le ton est donné, une tonalité grave qui, avec Blanche et le prologue qui nous la fait découvrir, n’exclue pas des moments d’intenses émotions Oui, Sylvain Ferret ne fait pas dans la demi-mesure puisqu’à la faveur de son récit, il a décidé de marquer le lecteur en lui opposant un sujet sans retenue, avec des personnages tourmentés, sans héroïsme flagrant. C’est ainsi que le retour insoupçonné de l’un des enfants du pays, au demeurant déliquescent, asphyxié par les taxes royales et malmené, va déchaîner une tension extrême entre deux anciens amants.

Structurellement parlant, cette tragédie médiévale a l’avantage d’être traitée d’une manière intelligente. L’auteur s’est donné pour mission de mélanger le présent avec le passé, selon un dosage finement travaillé, délivrant au fil des pages des séquences passées qui auront pour conséquence de cautionner le relationnel terrible à travers les âges entre Pierre et Marion. Les saccades scénaristiques ressenties via leurs tranches de vie se veulent complémentaires et offrent une vision progressive particulièrement cruelle.

Il va de soi que Sylvain Ferret a opté pour une narration brutale, avec des propos directs, sans ambages et suscitant une sensation de malaise ambiant qui assombrit volontairement le décor. Tout semble en symbiose, entre violence, misère et douleurs, la noirceur étant le liant implacable de toutes les péripéties narrées froidement. Evidemment, cette morosité ambiante se veut, d’un bout à l’autre, entêtante et génère inévitablement une réelle envie de connaître la finalité.

Graphiquement, la subtilité demeure dans l’articulation des époques. Pour le présent, Sylvain Ferret use d’un réalisme sombre richement décoré, avec des plans superbes et une dynamique percutante. Pour le passé, il n’hésite pas à passer dans une représentation plus floue, avec des plans monochromes intéressants. Il est évident que le travail illustratif est des plus conséquents (pas moins de 236 planches) et qu’il reste, eu égard au choix de la colorisation, un régal de morosité et de cruauté.

Une histoire moyenâgeuse particulièrement prégnante, eu égard à sa brutalité, sa noirceur et sa vision déliquescente d’une histoire d’amour impossible.

Par Phibes, le 27 octobre 2024

Publicité