Miracleman Omnibus

(Miracleman 1 à 22 et Annual 1 dans les quatre volumes parus entre 2014 et 2016)
Mike Moran est un journaliste amnésique un brin loser. Au cours d’une prise d’otage, il découvre, en lisant une inscription à l’envers sur une porte, qu’en prononçant le mot « Kimota » il devient Miracleman, un super-héros surpuissant aux pouvoirs illimités !
Dès cette première transformation, il retrouve la mémoire, il se rappelle ses anciennes aventures pour défendre le monde en compagnie de Kid Miracleman et Young Miracleman, il se rappelle ses combats, mais surtout il revoit leur dernière mission, cette bombe qui explose et les corps balayés de ses deux amis. Malgré tout, étrangement ces souvenirs ne collent pas du tout à la réalité, telle qu’il la connait… Progressivement, il prend aussi conscience de la puissance de ses pouvoirs, de ce qui le différencie petit à petit de l’être humain normal, le faisant accéder à un état proche du divin. Il finit par abandonner son identité de Mike Moran…

Par fredgri, le 18 avril 2023

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Notre avis sur Miracleman Omnibus

Cet omnibus rassemble l’intégralité de la série publiée préalablement par Marvel, tandis qu’en ce moment sort enfin la version révisée du dernier arc, par Gaiman et Buckingham, The Silver Age.

Des épisodes 1 à 16, Moore nous présente un super-héros semble t-il l’unique être super puissant, qui découvre que sa vie n’est qu’un énorme rêve manipulé par des savants en quête d’une nouvelle arme !
Moore a écrit cette histoire pour le magazine Warrior en 82 (avec "V for Vendetta"), (le personnage s’appelait alors "Marvelman"), c’est à dire bien avant Swamp thing, Watchmen etc. A cette époque c’est un jeune scénariste plein d’idées qui enchante très vite à la fois la critique et les lecteurs. Quand Dez Skinn, l’éditeur de Warrior, sous les conseils de Gary Leach, lui demande de reprendre en main ce personnage créé dans les années 50 en Angleterre, il saute sur l’occasion pour complètement le remodeler, version adulte.

Miracleman est un exemple parfait de révisionnisme intelligent, c’est à dire : on reprend un vieux personnage et on réécrit complètement ses origines et son histoires.
Moore peut alors parler pour la première fois du thème de l’héroïsme, avec ses absolus, ses caricatures et ses désenchantements ! Ce héros apparait comme l’être parfait, le fantasme ultime, celui qui va permettre à Moran de fuir cette enveloppe humaine qu’il n’aime pas, celui qui va lui donner l’occasion de voir cette lueur dans les yeux de sa femme, cette lueur qu’il ne voyait plus depuis si longtemps ! Mais la question qui se pose en substance c’est "quel est le rôle qu’un personnage de comics pourrait jouer dans le monde réel ? Quels pourraient être les enjeux ?" Cette histoire se développe dans le temps, Moore ne va écrire que les 16 premiers numéros, ayant emmené son personnage jusqu’au bout, ensuite c’est Neil Gaiman qui continue l’aventure avec Mark Bukingham (j’en reparle plus loin).

Le dessin de cette période est magnifique, qu’il s’agisse du trait ultra précis de Gary Leach, de celui plus dynamique d’Alan Davis ou encore des visions étranges, presque organiques, du couple Totleben/Bissette, chaque planche se dévore des yeux. De son côté, Moore adopte une écriture toute en finesse, jouant avec les monologues, les pensées, les voix off etc. Il emmène le lecteur vers un univers très réaliste, noir et désenchanté… Que pourraient devenir ces héros de notre enfance, à quelle conscience pourraient-ils accéder ? Le constat est néanmoins particulièrement sombre, mais d’une profondeur inédite.

Avec son dernier arc, Olympus, Moore conclue en beauté son incroyable run. Il donne son ultime version de l’être aux super pouvoirs, qui transcende même le simple statut de super-héros ! Miracleman influe sur le monde qui l’entoure, il décide de le changer pour pouvoir ensuite glisser vers une utopie paradisiaque, sans violence, ni pauvreté !

Miracleman c’est du comics hors norme, de ceux qui explorent le thème du héros de fond en comble, qui s’interrogent, qui bousculent les idées reçues, qui proposent de nouvelles pistes de réflexions, mais surtout qui nous interpellent. Miracleman fait partie de ces projets qui ont amené le lecteur traditionnel de comics à progressivement se tourner vers des histoires plus matures, plus poussées (un peu comme ça sera le cas aussi avec ses Watchmen) en transposant un être doté de pouvoirs illimités dans le monde réel et d’une part observer l’évolution de sa pensée, le voir prendre conscience de sa semi divinité et l’amener à changer de façon pro-active cet espace qui l’entoure !

Bien sur le propos est ambitieux, d’autant que Moore y est parfois empesé, voir même pompeux, mais cela créé aussi une atmosphère solennelle, intellectuelle qui correspond bien à l’histoire. Moore boucle ainsi toutes ses pistes, magnifiquement mises en image par John Totleben qui explose ses pages, qui joue sur les styles, qui expérimente à tout va, c’est remarquable et extrêmement riche…

On a le sentiment d’avoir ici une sorte d’histoire définitive sur ce que devrait être un super-héros, presque le testament d’un genre jusque là réservé aux ados.

Quand Gaiman reprend le flambeau, il n’en est qu’au début de sa carrière (tout comme le dessinateur Mark Buckingham), il vient tout juste de commencer Sandman, on lui doit auparavant Violent Cases et Black Orchid ! Cependant, son écriture est déjà extrêmement sure. Pour se différencier de son illustre prédécesseur, il décide de se concentrer sur le monde autour de Miracleman, plutôt que sur le personnage lui même. C’est intéressant, car cela permet de renforcer le cadre de la série, de remettre un peu les pieds sur terre et de développer des récits plus axés sur l’intimisme et sur les effets immédiats de l’arrivée de Miracleman dans ce monde !

Toutefois, c’est aussi assez déstabilisant après le run majestueux de Moore qui s’est terminé par un volume grandiose, très littéraire ! Gaiman, même s’il reste lui aussi très verbeux, adopte toutefois un style nettement moins elliptique et complexe. C’est du premier degré, lent et posé. Les personnages discutent de leurs impressions sur ce monde, sous le ton de la confidence. Et petit à petit, on voit se dessiner devant nous le portrait d’un monde parfait, sous l’égide d’un nouveau panthéon omniprésent. Qu’il s’agisse d’un souvenir, d’une présence, d’un symbole, Miracleman est partout et nulle part en même temps.
Chaque épisode est un stand alone et les personnages ne se croisent qu’à la fin.

Du coup, il ressort de cet arc le sentiment d’une pause, d’un entre deux assez agréable. Autant Moore a impressionné par son approche résolument pro-active, autant Gaiman marque par la subtilité des caractères brossés. C’est vraiment un arc pour se faire la main et se réapproprier lentement le concept, bien plus que d’être réellement constitutif !

En parallèle, Mark Buckingham en profite pour explorer chaque histoire avec un style différent. C’est très expérimental et surtout très audacieux. Comme par exemple la rencontre entre Emil Gargunza et Andy Warhol, ou encore l’histoire de Winter ! Et cette richesse graphique transporte littéralement chaque récit, elle amène le lecteur à s’attarder sur certaines séquences, à regarder les choses différemment (comme dans l’histoire sur les espions, traitée pratiquement qu’avec des photocopies collées…).

Un impressionnant omnibus qui nous permet de redécouvrir cette série culte complètement ignorée du grand public pendant des décennies, avant que les droits ne soient tout d’abord rachetés par Marvel, ce qui nous a permis de voir petit à petit voir quelques petites références à une suite, jusque là qu’à peine ébauchée par Gaiman et Buckingham. Et donc, comme je le disais plus haut, de voir arriver enfin Silver Age, après des années d’attente et d’espoirs frustrés !

Mais pourquoi Miracleman est elle une série "culte" ? Pour plusieurs raisons en fait !
Tout d’abord parce que dés ses débuts, les lecteurs ont reconnu là l’une des œuvres marquantes du comics moderne, aussi importante que Watchmen, que Dark Knight… Une œuvre qui va consacrer Moore à jamais. Les numéros vont très vite devenir introuvables (en plus, Eclipse, l’éditeur qui a repris les épisodes parus dans les Warrior et qui va permettre à Moore de continuer ses idées, est une petite structure qui ne peut plus, rapidement, financer ses parutions et la série devra s’arrêter au numéro 24…), les cotations vont s’envoler et du coup la plupart des gens qui en ont entendu parler à ce moment là n’ont certainement même pas lu plus de deux ou trois numéros !
"Culte" aussi parce que c’est l’une des premières pierres fondatrices d’un comics plus mature, un âge plus adulte. Nombre d’artistes n’hésitent pas à citer Miracleman comme l’une de leurs principales influences, de celles qui ont changé leur façon de lire des BD, carrément !
"Culte" surtout, car depuis la "traduction" aux Etats Unis dans les années 80, il y a une véritable guerre de droit d’auteur.
A la base, le personnage est créé en 53 par Mick Anglo pour remplacer Captain Marvel de Fawcett qui venait de cesser de paraitre. Pendant 10 ans il va remporter un certain succès en Angleterre, mais devra lui aussi disparaitre une première fois de la scène anglaise en 63 à cause d’un procès pour plagiat de la part de DC. En 82, Dez Skinn, un transfuge de Marvel UK, lance une nouvelle boite d’édition appelée Quality et plus particulièrement un magazine, Warrior. Pour l’occasion, il s’associe avec la crème des jeunes auteurs british du moment, et plus particulièrement Alan Moore ! Skinn se dit alors que comme Marvelman n’est plus paru depuis presque 20 ans, il doit être libre de droit, il décide donc de le "revamper" en se réappropriant les droits du personnage dans la foulée, les partageant en parts égales avec les auteurs…
Devant la débâcle d’Eclipse, Moore et Davis vont céder leur part à leurs successeurs Gaiman et Buckingham, puis ce dernier les vend à Mac Farlane, transformant cette affaire en véritable casse-tête juridique qui a vu Gaiman et MacFarlane s’affronter sans merci autour du personnage, et ce pendant presque deux décennies. Après tout qui avait les droits sur le personnage ?
Il aura fallu l’arrivée de Marvel, au départ comme soutien de Gaiman (il lui ont permis, grâce à quelques projet maison, de payer ses avocats), puis comme partenaire, qui rachète en 2009 les droits originaux du personnage à… Mick Anglo… Réduisant ainsi les magouilles de Mac Farlane à néant et ouvrant alors la voie à de nouvelles publications, d’une part, puis à une éventuelles suite…

Panini profite donc de l’élan de la récente mini-série pour ramener sa traduction (les 4 volumes parus entre 2014 et 2016 étant depuis introuvables et non réédités, bien sur) et donc permettre à une nouvelle génération de lecteurs de découvrir ce comics hors norme !
"Miracleman" est donc une série incroyable, mélant à la fois le réalisme, l’horreur, l’intimisme, mais surtout une réflexion très forte sur ce que devrait être un super-héros moderne !

Le must have absolu !

Par FredGri, le 18 avril 2023

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