Misery Loves Comedy

Ivan Brunetti, au travers de ce recueil (originellement publié en 2007 chez Fantagraphics, il rassemble les trois premiers numéros de Schizo, ainsi que quelques œuvres de jeunesse, des travaux parus dans des périodiques et des strips en couleur) nous invite dans son univers, avec ses obsessions existentielles, ses doutes et cette haine du monde qui l’entoure et de lui même en particulier. Nous découvrons donc sa vision de la vie, de son travail, des femmes…

Par fredgri, le 3 février 2010

Notre avis sur Misery Loves Comedy

Je ne connaissais pas réellement cet auteur, j’avais juste vu son Schizo 4 vite fait en passant et c’est tout. En observant du coin de l’oeil quelqu’un feuilleter cet album à côté de moi j’ai pu tout d’abord me rendre compte de la richesse formelle du travail de Brunetti. Les changements de style, l’audace de certaines mises en page et cette façon d’expérimenter m’ont tout de suite intrigué et j’ai donc fini par moi aussi récupérer Misery Loves Comedy.
Il faut dire que la couverture très austère n’attire pas forcément l’oeil tout de suite et, si il n’y avait pas eu la curiosité de ce lecteur anonyme, je serais très certainement passé à côté sans même avoir eu l’idée d’aller un plus loin.

Dans ce livre, Brunetti démontre qu’il est capable de pouvoir parodier à peu près n’importe quel style graphique (avec un remarquable hommage à Chris Ware) tout en restant bien fidèle à cette façon de se regarder à la limite du nihilisme le plus radical. Car, en effet, si graphiquement c’est de la vraie virtuosité, le fond est particulièrement répétitif et désespérant, voir même parfois assez agaçant.
Brunetti exècre la bétise, cette civilisation en pleine déchéance morale, les faux semblants, les désirs refoulés. Progressivement, il met en scène ses fantasmes destructeurs, humiliants, de viols, de mutilations ou chacun en a pour son grade, ou le moindre tabou est foulé du pied avec rage et jouissance. 
Passé le premier cap de l’incompréhension et de l’agacement, on se rend vite compte qu’avant tout Brunetti, à travers ses planches subversives et extrèmes, à travers ses théories métaphysiques et autres longs monologues, remet en cause ce monde qui nous entoure, cette hypocrisie ambiante qui se cache derrière cette soi-disant moralité… Personne n’est épargné, et le premier à pâtir de ce massacre est Brunetti lui même. C’est certainement cet aspect qui est le plus dérangeant, l’auteur passant le plus clair de son temps à s’autoflagéler, à imaginer pour lui des supplices de plus en plus destructeurs, à geindre sur son sort.
Mais au delà de tout ça, c’est aussi assez drôle parfois, même si c’est assez déstabilisant globalement. Je ne dis pas qu’on se prète vite au jeu, ni même qu’on acquièsce, simplement qu’une fois la logique de Brunetti bien comprise, certains de ses délires parodiques sont tout bonnement hilarants.

Il en ressort, néanmoins, de cette lecture, la vision d’un auteur au regard très dur, sans aucune concession, sur notre société, sur tout ce qui peut la constituer. Je n’avais jamais rien lu de pareil, il n’y a aucune limite, Brunetti explore les pires travers de notre civilisation, ce qui l’énerve le plus, il se sert des strips comme les Peanuts, Popeye etc. en les parodiant, en rajoutant des délires sexuels, en forçant le propos afin de pervertir les structures familiales, les relations hommes femmes, il déploit ses théories, disserte sur tout… Tout passe à la moulinette. Mais sous des dehors parfois un peu potaches, on devine très vite un regard très réfléchis, très incisif, peut-être un peu trop desillusionné, mais toujours très direct.
Mais il ne se contente pas de parler du monde autour de lui, il se lance aussi dans un autoportrait sans ménagement ou sont mis en scènes tout ses fantasmes, ses relations avec les femmes, ses collègues de boulot, sa vie, cette peur qui l’assaille sans cesse et cette impression de n’être qu’une immonde merde sans nom. Ce gars là ne cesse de pleurnicher sur son sort, de s’imaginer mettre fin à ses jours. C’est très rapidement assez pénible tout de même, d’autant qu’à pratiquement aucun moment il n’a ne serait-ce que juste un peu un regard positif sur quoi que ce soit !!! Ca a beau être très souvent assez intéressant, c’est aussi principalement très agaçant. Il n’y a aucune issu à tout ça, tout est pourri. Comment être d’accord avec ce constat !

Malgré tout, ce qui m’a tout de suite accroché avec cet album c’est l’incroyable richesse formelle. Bien sur. C’est assez incroyable. Brunetti passe d’une narration classique, case par case, à la prose illustrée, aux strips, aux cases muettes, aux cases principalement constituées de textes, il explose ses mises en page, joue avec le rythme… Le fond est peut-être plaintif et répétitif, la forme démontre d’une énorme curiosité pour le médium et ses fondements.

Brunetti travaille en tant que webdesigner, mais il donne aussi des cours d’illustration et de BD, il a organisé, en 2005, une énorme exposition qui a donné lieu, ensuite, à deux anthologie qu’il a dirigé. Brunetti n’est donc pas n’importe qui, certains disent même de lui qu’il est l’un des auteurs underground les plus importants des années 90/2000 (Schizo 1 à 4 s’étalant sur près de 12 ans)
Je ne sais pas si cet album est à mettre entre toutes les mains, après tout, les thèmes abordés, le traitement que leur inflige l’auteur, les délires sexuels, tout ça va très loin. Toujours est-il qu’en refermant cet album on a quand même le sentiment d’avoir croisé la route d’un auteur hors du commun, qui se fait peut-être rare, mais qu’il faut surveiller de très près.
En tout cas…
Pour public très averti…

Par FredGri, le 3 février 2010

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