Retranchés
Jérôme s’est fait largué. Il est au plus bas. Ecumant les bars en se plaignant de la société, il passe le reste du temps avachi dans son fauteuil à fixer sa télévision. Mais cela fait déjà un petit bout de temps que ça dure, et son ex a même eu le temps de se trouver quelqu’un d’autre…
Il ne fait pas front, il s’enterre dans ses retranchements, sans avancer, sans combattre.
Tout comme cette armée de soldats étranges faisant face à un adversaire invisible, et qui ne veut avancer ni repartir…
Par VincentB, le 1 janvier 2001
Notre avis sur Retranchés
Inaugurant le nouveau label Araignée des éditions Ankama, cet album écrit, dessiné et colorisé par le seul Cafard en pose bien les principes : étrange, fantastique, décalé, dérangeant.
Dans cette histoire, on suit en parallèle l’évolution de Jérôme, un garçon qui s’est récemment fait largué par sa copine, et l’histoire d’une armée aux personnages caractériels et loufoques qui s’enterrent dans une tranchée, faisant face à un hypothétique ennemi.
Certes, la guerre sert souvent d’allégorie à l’amour, en cela on ne peut pas dire que cette œuvre soit originale. Cependant, Cafard parvient a créer de fortes analogies souvent très bien vus, le jeune homme ne tente rien pour sortir de sa situation et ne fais plus rien, tandis que les soldats s’enterrent dans des tranchés ; l’ex de Jérôme s’est trouvé quelqu’un d’autre tandis que l’ennemi semble ne plus faire face ; on pourrait ainsi continuer une liste assez dense.
Les deux histoires, au départ assez distinctes, se mélangent et s’entremêlent de plus en plus au fur et mesure que l’on tourne les pages, donnant une accélération au récit.
Autant le dire, il ne se passe en vérité pas grand-chose dans cet album, mais là n’est pas l’intérêt. Non, ce qui est recherché ici, c’est de parler d’amour, ou plutôt de désespoir amoureux d’ailleurs, un thème universel mais intime. Pourtant, Cafard arrive très bien à en parler, son analogie avec la guerre est éloquente, intelligente et bien amenée.
Mais, étonnamment, l’auteur a également fait le choix d’introduire un autre sujet à cette œuvre, une critique de la société actuelle d’hyper consommation. Avec ce thème on remarque encore une fois l’habilité de Cafard, qui, avec des publicités réellement existantes et extraits d’émissions de télévision que Jérôme regarde, nous montre le côté écoeurant de notre monde actuel. Cependant, j’ai pour ma part du mal à voir ce que cela vient faire dans cette histoire.
L’ambiance qu’est parvenu a poser Cafard tient également, évidement, a son graphisme.
Les scènes de l’armée, qui a d’ailleurs un petit côté steam-punk, sont particulièrement réussies. Les personnages ont tous des vraies « gueules » assez caricaturales, l’univers des tranchés est étouffant, l’auteur a aussi fait intervenir des créatures ou personnages assez bizarres enrichissant l’atmosphère d’étrangeté.
On peut avoir l’impression que l’histoire de Jérôme est moins réussi de ce côté, avec certains effets bancales (insertion d’image, devanture de la brasserie) qui tranchent avec le style de l’auteur. Par ailleurs, pour ma part, j’ai du mal avec certaines bouches que fait l’auteur à ses personnages.
A la fin de l’album se trouve un généreux dossier dans lequel Cafard livre des clefs de l’oeuvre et explique sa genèse, une partie assez intéressante avec divers recherches graphiques par exemple et des hommages fait par d’autres auteurs.
Retranchés est une œuvre surprenante, dérangeante, déconcertante, originale de par son traitement et globalement réussie.
Ca peut « foutre le cafard », et je terminerais cet avis, je ne sais vraiment pourquoi, par cette strophe extraite d’un des poèmes Spleen de Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal) :
«Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux ».
Par VincentB, le 23 octobre 2008