Saga de Xam

La réédition de cet étonnant album est en soi un véritable évènement.
Paru initialement aux Éditions Losfeld, en 1967, cet album, aux dimensions hors norme pour l’époque, est rapidement devenu introuvable, tant il surprenait le lecteur du moment habitué à des récits plus conventionnels, plus classiques. À l’époque, la bande dessinée est en pleine remise en question, un groupe de jeunes créateurs a investi Pilote, a créé Hara Kiri et la science-fiction explore déjà de nouveaux horizons. Quand Nicolas Devil initie le projet "Saga de Xam", il ne connait pas vraiment les codes de la BD, les contraintes liées à la taille du lettrage, la lisibilité, le découpage etc. Il apprend tout sur le tas, ce qui donne une première lecture assez déstabilisante, mais étonnamment enthousiasmante, tant la démarche est audacieuse et inventive. Devil explore les limites du médium, en construisant un espace inédit, entre l’album de BD, le recueil d’illustrations et le récit SF.
Très vite, on se rend compte qu’il extrapole le scénario de Jean Rollin (ce dernier avouera qu’à un moment il s’est bien rendu compte que le projet lui échappait, partant dans toutes les directions, avec des chapitres finaux ou les copains venaient glisser des dessins sur les planches originales !), poussant les limites de l’aventure de Saga, presque au-delà du langage lui-même.

Peut-être qu’au final, l’album retrouve une nouvelle jeunesse, permettant enfin d’être relu, redécouvert, toutefois il nécessite d’être replacé dans le contexte de l’époque, de comprendre d’où il vient, quelle est sa genèse…

Car, bien que l’ensemble ai pas mal vieilli, très marqué par l’imagerie pop des années 60, que l’objet peut paraître au premier abord comme un beau joyau illisible, exutoire d’un artiste libre de toute contrainte qui "part dans tous les sens", il reste une expérience narrative exceptionnelle, un album superlatif qui, encore aujourd’hui, éblouit par son énergie, par les idées novatrices qu’il véhicule. Saga de Xam n’est ainsi plus seulement ce mystérieux jalon sur une page de l’histoire de la bande dessinée, ce premier véritable "Roman Graphique" conçu comme une performance unique en son genre, le geste d’un artiste en marge, c’est une lecture qui nous éclaire sur ces années de libération du langage, des mœurs !

Les éditions Revival nous proposent un album d’une grande qualité, en grand format (27.5 x 1.6 x 36cm), agrémenté d’une longue et passionnante introduction de Christian Staebler, ainsi d’un petit portfolio en fin d’album, qui nous présente des illustrations de Nicolas Devil, elles aussi assez incroyables !

Il convient donc de ne pas passer à côté de cette sortie qui réhabilite une œuvre des plus obscures jusque là.

Indispensable !

Par FredGri, le 12 novembre 2022