Somna (VO)

(« What blighted flame burns in thee ? » tiré de l’anthologie The devil’s out + Somna 1 à 3)
Ingrid a le sommeil perturbé par d’étranges rêves ou elle voit la sombre silhouette d’un inconnu se rapprocher d’elle, la toucher et tenter de la posséder… A chaque réveil, elle ne comprend pas ces visions. Son mari, Roland, dont le rôle est justement de chasser les sorcières, s’interroge, il comprend qu’il s’est progressivement installée de la distance dans leur couple, que son épouse manque d’affection, mais sa foi est si forte qu’il ne peut s’empêcher de douter. Dans le village, une jeune femme a été récemment immolée, accusée de sorcellerie. Les temps sont à la suspicion, et les uns et les autres profitent de cette atmosphère délétère pour se débarrasser des gêneuses… Ingrid se retrouve au centre d’une machination qui va vite la dépasser…

Par fredgri, le 15 juillet 2024

Notre avis sur Somna (VO)

Les histoires de sorcières sont légion. Ces femmes poursuivies par des représentants de l’ordre extrêmement zélés qui interprétèrent le moindre signe comme une preuve sans appel, qui suivirent toutes les accusations perpétuées par des témoins douteux, exécutant des centaines de victimes, sur des buchers à l’issue de procès expédiés sans possibilité de se défendre justement. C’est un sujet qui ne cesse d’inspirer la littérature, le cinéma ou la télé, un thème qui permet de mettre en avant le traitement de ces femmes dans une société ou elle n’avaient finalement pas le dernier mot, enveloppées dans des règles de vie restrictives à l’excès.

Les deux autrices, Becky Cloonan et Tula Liotay, s’associent pour nous livrer le récit particulièrement touchant d’une jeune femme, Ingrid, qui s’interroge sur les rêves qu’elle fait, chaque nuit. Frustrée dans sa vie sexuelle, elle interprète ses rêves onanistes comme d’étranges visions ou un inconnu, sous la forme d’un démon, la visite pour lui donner du plaisir… Elle évolue en effet dans une société très puritaine, à l’esprit étriqué, ou le plaisir brut est perçu comme une sorte d’anormalité impudique. Elle observe son amie Maja, bien plus à l’aise avec tout ça qu’elle, elle repense à cette jeune femme, Greta, qui a été brulée sur la place publique, pour avoir soi-disant convolé avec Satan, la douleur de ces flammes qu’elle trouve insupportable ne serait-ce que d’imaginer… Ingrid est sensible, peut-être un peu trop, elle entretient avec le monde qui l’entoure, avec la rigueur de la vie, la froideur de son mari, Roland, un lien assez ambiguë, mêlé de résignation, de mélancolie.
L’écriture est vraiment subtile, entre pensées et dialogues, nous entrons dans l’esprit de l’héroïne, nous l’écoutons, découvrant une vie qui s’étiole, lentement, tandis que petit à petit, autour de la jeune femme, le monde se referme.

Ingrid c’est en quelques sorte ces femmes incomprises, en marge, qui subissent le regard rigide d’une société rongée par ses préjugés, sans nuance, ou il n’y a que le noir et le blanc, et rien au milieu…
Sans aller jusqu’à prôner l’originalité, ni même une fin surprenante, Somna est avant tout un très beau portrait, très touchant, qui fait réfléchir.

Graphiquement, le mélange des deux styles est assez surprenant, il faut bien l’admettre. Et même si j’ai beaucoup plus d’affinité pour le trait de Becky Cloonan, plus expressif, plus riche, que celui de Tula Lotay, plus froid et distant, je dois avouer que l’ensemble est particulièrement beau. Une très belle réussite.

Bientôt traduit en France, chez Delcourt, je vous encourage à surveiller ce volume.

Par FredGri, le 15 juillet 2024

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