Spirou, aux source du S...

C’est vrai qu’à l’instar des grandes œuvres toutes aussi populaires que Tintin et même Asterix, Spirou dénote un sérieux manque de matériel critique et analytique, le reléguant un peu trop facilement au stade de simple série d’aventure légère, représentatrice de l’école de Marcinelle et point ! Mais pourtant, quand on prend le temps de regarder ces 75 années de bande dessinée on remarque très vite non seulement l’influence de cette série sur des générations de lecteurs, voir même d’auteurs, mais ensuite que les histoires réalisées par des auteurs comme Franquin, Fourier, Tome et Janry etc. reflètent à la fois leur époque, mais aussi des questionnements liés à la science, au rôle d’un héros de fiction… Qu’il y a donc bel et bien matière à être décortiqué, pesé et soupesé !

Dès les premiers paragraphes Philippe Tomblaine insiste sur le côté personnel de ces analyses, bien qu’il les étaye à grand renfort d’exemples, de démonstrations. Progressivement, il pousse très loin ses arguments et même si parfois je n’ai franchement pas été convaincu, j’avoue que l’ensemble est époustouflant ! Car il fallait bien ce volume critique pour réhabiliter définitivement ce personnage et son univers dans un ensemble qui dépasse largement les auteurs eux même, quand bien même, jusque là, Spirou était uniquement présenté par le prisme de ses créateurs successifs.
Ainsi il apparait que ce groom aventureux, véritable porte drapeau des éditions Dupuis, en concurrence directe avec Tintin, s’en dénote néanmoins très nettement, ne serait-ce que par la multiplicité des regards qui seront au fur et à mesure proposés et surtout de la richesse des thématiques qu’il va aborder tout au long de ses récits, allant même jusqu’à se poser des questions sur son propre statut de personnages fictionnel, d’icône promotionnel !

Philippe Tomblaine fait preuve de beaucoup de zèle, donc, allant même jusqu’à échafauder des parallèles qui mériteraient débat, malgré tout le portrait qu’il dresse met en avant la complexité d’une œuvre inscrite dans l’histoire de la bande dessinée depuis des décennies, et ce malgré les enjeux éditoriaux castrateurs qui ont imposé au fil des années une ligne de conduite très restrictive, tendant, le plus souvent, à limiter les marges de création, histoire de ne pas oublier qu’il s’agit là avant tout d’une franchise. Toutefois, cette franchise a su aussi se repositionner et se remettre en question régulièrement, allant même jusqu’à ouvrir ses portes à une nouvelle collection, en 2008, qui permet à d’autres créateurs de s’essayer à cet univers, le temps d’un one-shot ou d’un diptyque !

Le livre est donc remarquable par sa profondeur et les pistes de lecture qu’il ouvre. Il se conclue d’une part par une succession d’interviews qui permet d’explorer l’historique éditorial qui a accompagné les différentes reprises (c’est l’occasion aussi de voir se glisser des petits piques des uns sur les autres, certain pensant avoir présenté le Spirou idéal au détriment des autres, jugés pas assez comme ci ou comme ça…) Ensuite l’auteur nous présente des axes pédagogiques qui pourraient permettre à des enseignants d’aborder le sujet Spirou dans le cadre d’un cours, d’un exposé ! Le livre ne se limitant plus seulement à une démonstration, mais devenant véritablement outil de transmission, éducatif !

Dans le paysage actuel de la critique BD, il est enfin temps de présenter autre chose que ces grandes théories Hergéennes, Corto Maltiennes ou gauloises qui servent souvent de présentoirs indémodables de la BD dans les magazines au détriment des autres grandes icônes qui le mériteraient pourtant tout autant ! Ce livre est des plus accessibles, avec une présentation très claire et très didactique.
Un parfait outil pour redonner envie de reparcourir une nouvelle fois les aventures de Spirou, de Fantasio et de Spip… D’ailleurs j’y vais de ce pas !

Par FredGri, le 29 décembre 2014