Stray Toasters

Egon Rustemagik est un psychologue spécialisé dans les affaires criminelles. Il vient de sortir de deux ans d’internement provoqués par sa compagne du moment. Encore un peu déboussolé, il va devoir enquéter sur deux séries de meurtres qui étrangement semblent se rassembler. D’un côté on retrouve des jeunes garçons étrangement mutilés et d’un autre ce sont des femmes assassinées par un meurtrier dont la description s’écarte de tout ce qu’Egon a pu croiser jusque là.
Progressivement nous suivons le psy dans cette histoire ou la folie semble très vite prendre le dessus.

Par fredgri, le 1 janvier 2001

Notre avis sur Stray Toasters

Dès les premières pages, les dialogues, les cases, les personnages nous entraînent vers des territoires complètement hallucinés. Aux travers de monologues, de répétitions, d’analyses c’est  un pas vers la folie, vers l’hystérie qui nous pousse à passer à la page suivante.

Bill Sienkiewicz est, depuis les années 80, l’un des piliers du graphisme moderne dans les comics. A ses débuts il a tout d’abord "pompé" le style très dynamique de Neal Adams, un style ou l’anatomie, les angles de vue sont particulièrement travaillés. Dès qu’il se lance sur la série qui sera son révélateur, "Moon Knight", il dévie assez rapidement du trait de son maître pour commencer sa longue ascension vers l’abstraction, mélant à la fois des éléments décoratifs, des traits aux limites du croquis et un encrage très vif, parfois même surchargé.
Le style Sienkiewicz se reconnait déjà d’un coup d’oeil, il dégage une espèce de force, une énergie incroyable, parfois presque hystérique.
Ensuite, sur "New Mutants" il va complètement exploser en profitant de l’héritage de ses Moon Knight et en se coupant des écoles plus classiques. Avec Sienkiewicz les comics sont propulsés vers une ère résolument plus avant-gardiste.

Cette "étape" amène aussi et surtout une véritable rupture avec le classicisme ambiant, bien dans la continuité des travaux de Miller, Chaykins, Jones ou même Steranko (pour ne citer qu’eux). C’est un moment important car certains jeunes auteurs vont alors envisager de se lancer eux aussi dans des oeuvres plus ambitieuses. Sienkiewicz comprend surtout qu’il est nécessaire d’aller encore plus loin, il se lance donc dans la couleur directe avec "Elektra Assassin" et "Daredevil, love and war" avec Miller, malgré un run assez sympa sur "Shadow" aux côtés de Andy Helfer.

Mais l’aboutissement de toute cette démarche arrive avec cet incroyable "Stray Toasters" ! Quatre numéros (rassemblés en français dans cet album) ou il expérimente toutes les techniques graphiques qui l’intéressent, ou il s’essaye au scénario, mais surtout ou il a toute la liberté dont il peut jouir.

Stray Toasters est difficile d’accés car c’est avant tout un énorme laboratoire, il faut se laisser envahir par les images, par les mots et progressivement découvrir le language de ce monde. C’est très perturbant, d’autant que chaque personnage semble complètement dingue, complètement avalé dans sa propre folie !
Sienkiewicz ne s’encombre pas avec des explications, tout de suite nous sommes dans le fond de l’histoire et ça démarre très vite. Le fond du scénario n’est pas forcément très nouveau si ce n’est que l’auteur fausse très vite toutes les cartes en  ouvrant sans cesse des tiroirs ou chaque éléments semble correspondre avec un autre, ou les dialogues qui se croisent viennent enfoncer davantage le clou. Mais avec un peu d’attention tout devient assez vite reconnaissable, d’autant que chaque personnage a sa propre typo, sa propre couleur de bulle.
Mais ce qui chamboule principalement la lecture c’est l’énooooooooorme richesse graphique de cet album ! Chaque page a un style bien à elle, c’est bourré d’idées, de références picturales (photo, tableau, symbole etc.), c’en est même étourdissant tellement chaque planche recèle d’un potentiel ahurissant.

Sienkiewicz est alors un artiste au sommet de son art, touchant et maîtrisant n’importe quelle forme graphique. Il explose littéralement les limites de ce médium qu’est la BD, montrant la voie vers de nouveaux territoires.

Peut-être que, du coup, cela manque d’une certaine homogéneité, c’est tellement riche que c’en est justement… trop riche. Chaque nouvel élan parasitant le précédent. A vouloir aller trop loin Sienkiewicz s’est peut-être tout simplement complètement dépassé lui-même. La sublimation dans l’expérience, l’immersion d’un artiste dans son Art !

Quand j’ai présenté la première fois ces "comics" à des amis en école d’Art, ils ont été fascinés dès la première page, mais très vite ont aussi reconnu que ce Stray Toasters s’apparentait davantage à un catalogue graphique exceptionnel plutôt qu’à une histoire mise en image.
C’est certainement le principal problème de cet album, un manque de cohérence d’ensemble. C’est joli, complètement dingue, bourré d’idées géniales, mais ça part trop dans tout les sens, alors que c’est une oeuvre monumentale, une pierre de fondation du comics moderne, quelque chose qui va dorénavant influencer tellement d’artiste que son importance n’est plus à démontrer.

A cette époque, le "Violent Cases" de Gaiman et McKean (on voit une petite référence d’ailleurs dans une image) Kent Williams et Jon J Muth commencent à faire parler d’eux aussi et Sienkiewicz vient de signer l’oeuvre de sa vie ! Il va s’associer avec Alan Moore sur l’impressionnant "Brought to light" puis commencer seulement "Big Numbers" qu’il abandonnera au cours du troisième numéro. La flamme semblant s’aténuer, il va se consacrer durant les années 90 à principalement faire de l’encrage alimentaire. Il revient pour signer un magnifique album sur Hendrix, plus quelques petites histoires par ci par là, mais on ne retrouve plus le Sienkiewicz de Stray Toasters…

Peut-être le souffle a t il été trop fort, trop violent, on a parfois le sentiment même que ce projet fut une sorte d’exultoire nécessaire.
Toujours est il qu’un jour un artiste réussit à produire ce véritable bijou, qu’il y eu un éditeur qui y cru (Archie Goodwin et la collection Epic chez Marvel) et que la face des comics en fut chamboulée.

Depuis, McKean a imposé une démarche similaire mais plus réfléchie, plus intellectualisée, David Mack a gardé la folie et le sens de l’impro de Sienkiewicz et d’autres noms sont venus rejoindre leur rang pour nous émerveiller.

Une lecture nécessaire et essentielle.

Par FredGri, le 3 octobre 2005

Publicité