TOURISTES A LA HAVANE

Arturo et Ivannia vivent au Costa Rica. Contrairement à bon nombre de leurs concitoyens qui préfèrent passer leurs vacances aux Etats-Unis, eux ont choisi d’aller visiter La Havane, à Cuba, où vit la famille d’une de leurs voisines. Passé l’inévitable petit temps d’acclimatation propre à tous les voyages en pays étranger (nouvelles ambiances, dépaysement, méfiance à l’égard de l’Autre…), les deux touristes vont vite rejoindre le logement chez l’habitant qu’ils ont réservé et qui sera leur camp de base.
Comme tous les touristes ayant eu la chance de visiter La Havane, Arturo et Ivannia vont trouver la ville magnifique en son genre. Leurs conversations avec la famille gérant les lieux, la visite qu’ils rendront à la famille de leur voisine costaricienne et les rencontres qu’ils feront au gré de leurs promenades leur donneront également l’occasion de jeter un œil sur l’envers du décor et de toucher du doigt une réalité bien plus difficile qu’ils ne l’imaginaient.

Par sylvestre, le 19 novembre 2023

Notre avis sur TOURISTES A LA HAVANE

Avec un dessin stylé « ligne claire » et une palette de couleurs réduite renvoyant pourquoi pas aux couleurs fanées d’une ville jadis pimpante, c’est sur près de 370 planches que l’auteur Edo Brenes fait évoluer pour nous deux personnages dans La Havane, la capitale de Cuba.
Son récit est basé sur une expérience personnelle, son regard « sonne » donc juste dans le propos comme dans les détails graphiques qui jalonnent les planches ; notamment dans les domaines de l’architecture, des voitures ou encore dans les détails apportés dans la représentation des intérieurs des maisons. L’expérience personnelle, c’est important pour la véracité et la crédibilité. En outre, l’aubaine est ici double en cela qu’en tant que Costaricien, l’auteur maîtrise l’espagnol, langue parlée à Cuba, et qu’il est logiquement plus intéressant pour le lecteur d’accueillir le témoignage de quelqu’un qui a pu « investiguer » sans que la barrière de la langue ait été pour lui un obstacle ; ou qui a pu « gratter la surface » pour s’intéresser à ce qu’il y avait derrière. (Souvenez-vous du court-métrage BD dans Birmanie La peur est une habitude, aux éditions Carabas, dans lequel des touristes français se réjouissaient de leur séjour sans se rendre compte qu’ils passaient complètement à côté de la dure réalité du quotidien des gens qui y vivaient…)
Arturo et Ivannia sont malgré tout deux touristes avant tout. Ils sont donc logiquement attirés par les choses « à voir absolument » sur place, car c’était bien sûr un de leurs objectifs. Ils s’adonnent au rituel des selfies, aussi, et composent avec leur difficultés à trouver leurs marques, parfois. En d’autres termes, ils sont comme vous et moi quand on voyage. Mais tout touristes qu’ils sont, ils ont eu à cœur de profiter de leur présence à La Havane pour essayer de gratter un peu la surface et accéder à ce qu’il y a dessous. Opportunité donnée par leur formule de séjour : chez l’habitant et près des gens plutôt qu’en hôtel-forteresse et qu’en bus de 50 places…
Et en effet, il y a à dire ! (On le savait…) Derrière ses airs de carte postale, La Havane est avant tout la plus grande ville d’un pays sous embargo et en proie à moult difficultés économiques. Sous l’autorité d’un régime communiste, cette grande île des Caraïbes, ennemi juré de son surpuissant voisin les USA, est devenu un des pays les plus pauvres de la planète ; sans toutefois, semble-t-il, qu’on ait le droit de parler d’un pays misérable. Et c’est cet état de fait qui explique bien des choses : parce que les gens sont pauvres, une véritable solidarité existerait entre eux, ce qui donne un charme indéniable à cette société, mais parce que les gens sont pauvres aussi, nombreux sont les candidats à l’exil ; avec les risques que l’on connaît.
Les gens que vont rencontrer Arturo et Ivannia vont dresser les uns après les autres un portrait non édulcoré du Cuba des Cubains. D’autres protagonistes aussi, liés à nos deux touristes costariciens par des personnages tiers, complèteront le tableau. Ainsi ferons-nous la connaissance de gens du petit peuple. Ainsi seront évoqués aussi des problèmes comme la pauvreté et la débrouille, le travail des enfants, l’envie des jeunes de quitter le navire même si ça doit être au péril de leur vie, l’existence d’un système à peine caché de prostitution à dessein de facilités à obtenir argent ou papiers, etc, etc… Seront aussi racontées des anecdotes plus « touristiques » et donc plus légères : le curieux système de double monnaie ou le phénomène des « commissionnaires » (existant dans bien d’autres pays, cela dit) qui in fine sont fortement relatifs à la dramatique situation sur place. Mais auront droit au chapitre aussi la beauté des lieux, la grande hospitalité des gens alors même qu’ils sont très pauvres, l’abord facile des gens dans un pays où parler librement aux étrangers est un droit récent, ou encore l’amour qu’ont malgré tout les Cubains pour leur vie dans cette « prison administrative » qu’est Cuba et qu’ils pourraient détester encore plus.
Ce voyage de papier est très éclairant sur la situation là-bas. Simple, authentique et pas effrontément partisan, il offre un regard sur une société dont il décrypte ce qui pourrait ressembler à des travers. Il donnera envie à ceux qui ne sont jamais allés sur place d’aller se rendre compte des choses ; il désolera sûrement certains de ceux qui y sont allés de ne peut-être pas avoir été au plus près du véritable cœur battant de l’île et de ses habitants.
(Après, qu’on soit bien d’accord, hein ? Derrière mon ton de donneur de leçons, j’ai moi aussi bien évidemment fait des voyages en loupant sans doute le plus authentique ou le plus intéressant. Mais voilà, quoi. Cette BD, en plus de nous faire voyager, nous rappelle à cette notion du voyage responsable et éclairé. Un touriste ne changera jamais la face du monde, il sauvera jamais des peuples entiers, mais au moins, renseignons-nous et vivons les choses dans le respect et la compréhension de ceux à la rencontre desquels on va lorsqu’on voyage ; surtout peut-être lorsqu’il s’agit de gens plus pauvres que nous. Fin de la parenthèse.)
Bonne découverte, bonne lecture et bon voyage !

Par Sylvestre, le 19 novembre 2023

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