Un certain Daneri

Un certain Daneri fut la toute première collaboration entre Trillo et Breccia, avant même Buscavidas. Le premier épisode a été réalisé pour une revue dirigée par Trillo : "Revista Mengano", puis les 2 épisodes suivants sont sortis dans la revue Sancho. Le reste fut réalisé et édité en Italie dans la revue Linus, puis édité en Argentine dans la SuperHumor… Ces 8 histoires, parues entre 1974 et 1978, nous parviennent pour la première fois en France ! Carlos Trillo et Alberto Breccia nous présentent un personnage assez énigmatique, hypothétiquement détective privé, qui est régulièrement engagé pour aider ses clients à retrouver des personnes, ou pour les protéger. On n’en sait pas vraiment plus sur les contours de son travail, mais qu’importe, finalement.
Toutefois, chaque récit ne fait, en moyenne, que 6 pages, ce qui ne permet pas de vraiment développer des intrigues complexes, ni même la personnalité du héros. Du coup, on évolue dans une atmosphère assez nonchalante, bien plus impressionné par les audaces graphiques de Breccia que par la finesse des scénarios de Trillo. Néanmoins, Daneri est un homme assez difficile à cerner, Comme venant d’une autre époque. Il traîne son vieil imper’ comme une sorte de spectre que l’on aperçoit du coin de l’œil sans s’y attarder, l’esprit d’un âge pas si lointain qui hante les rues, qu’on ne peut oublier complètement…

Mais en effet, de son côté, Alberto Breccia se réapproprie complètement les ambiances des récits. Il pousse encore plus loin l’expérimentation, aux limites de l’abstraction, voir même de la lisibilité. On est complètement époustouflé par ses idées, ses trouvailles, usant de papier déchiré, de photo collées et redessinées, de tâches, de matières qui s’étiolent… Il "dessine" une silhouette en collant un bout de papier noir , il esquisse un bras qui frappe d’un coup rapide de son pinceau… Le maître repousse les frontières de la bande dessinée, de l’idée même d’une construction de planche, il transcende littéralement la moindre page.
En contre partie, oui, en effet, c’est parfois difficile à lire, deci delà, mais c’est tellement enrichissant qu’on ne peut qu’être sous le charme !

Une petite perle qui vient rejoindre l’excellent catalogue des éditions iLatina. Je vous encourage vivement à vous pencher sur ces planches !

Par FredGri, le 8 mai 2021