Un ennemi du peuple

Javi Rey signe l’adaptation de la pièce de théâtre de l’auteur norvégien Henrik Ibsen (Une maison de poupée), Un ennemi du peuple, initialement publiée en 1882.
L’album commence avec des enfants se massant sur la côte à l’arrivée du bateau apportant son flot de touristes, venus profiter des joies du thermalisme insulaire, à la Baleine heureuse ! Cette station récente permet à l’île et à ses habitants de bénéficier d’une manne financière importante et inespérée, mais cache appétits spéculatifs, rivalités et tensions au sein de la communauté villageoise, et notamment entre deux frères : le Dr Thomas Stockman, homme droit mais quelque peu aigri par la non reconnaissance de son rôle dans le succès des thermes, et son frère Peter, maire du village aux dents longues. Une lettre de la capitale, fortement attendue par Thomas, semble pouvoir remettre en cause l’existence même de la station, ainsi que les fondements de l’économie locale…
Quant à La voix du peuple, PQR locale, tentant de veiller sur le respect des règles démocratiques, et d’incarner un semblant de contre-pouvoir, elle a dans son viseur le Maire, et n’attend que le scoop pour pouvoir dégainer, ce qui va finir par arriver plus rapidement que prévu, accompagné de règlements de compte au sein de la fratrie précédemment évoquée !

On retrouve dans Un ennemi du peuple une critique acerbe des dérives de la démocratie, du pouvoir, et des classes dirigeantes, ainsi que de la "tyrannie de la majorité" cher à Tocqueville. L’œuvre raisonne encore pleinement aujourd’hui par sa modernité et les travers qu’elle dénonce. La tranquillité de la station thermale en pleine saison fait bientôt place à une véritable tragédie dans laquelle le Docteur, interprété par Steve McQueen lui-même dans la version cinématographique de 1978, ainsi que sa famille se retrouvent prisonniers.
Le travail de Javi Rey est remarquable, son dessin arrivant à la fois à retranscrire tous ces défauts de l’humanité, et à faire ressentir une certaine légèreté dans les scènes voyant nos personnages évoluer sur cette île thermale, grâce notamment à des couleurs parfois crues et vives utilisées par l’Espagnol. Le récit est fluide et joliment éclairé par son dessin, donnant envie de retrouver ou de découvrir le texte originel d’Ibsen !

Une réussite, à se procurer absolument !

Par V. DEGACHE, le 15 juin 2022