Vertigéo

Suite à un puissant cataclysme qui a ravagé la surface de la Terre, les survivants ont construit une succession de tours, hautes de dizaine de kilomètres, interminable labeur pour des milliers d’ouvriers dont la vie est désormais consacrée à l’édifice de ces monumentales « tours de Babel » modernes. Ces micro-sociétés se sont progressivement construites autour d’innombrables règles particulièrement rudes et liberticides dont le seul but semble être de monter toujours plus haut, si possible plus rapidement que les tours voisines… Cependant, un jour, un grain de sable vient semer le doute…

Par fredgri, le 17 mai 2024

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Notre avis sur Vertigéo

Vertigéo signe les débuts de scénariste de Lloyd Chery que l’on connait surtout pour son rôle actuel de Rédacteur en chef adjoint de Métal Hurlant. Pour l’occasion, il s’associe à Amaury Bündgen, un jeune dessinateur qui s’est fait remarquer avec ses deux précédents volumes, Iron Mud et Le Rite. Ils adaptent une nouvelle d’Emmanuel Delporte qui fait partie du recueil Au Bal des Actifs – Demain le Travail.
L’idée est alors très ouvertement de critiquer les illusions du communisme et de ses idéaux qui prônent le travail de tous pour le bien collectif, mais aussi les chimères du capitalisme faites de promesses d’un monde meilleur, plus haut…

Si la dystopie est aujourd’hui un sous-genre de la SF qui a le vent en poupe, c’est surtout parce qu’elle permet de dénoncer les travers endémiques de notre société qui marchandise l’être humain, quitte même à le déshumaniser. Sous l’apparence d’un récit sombre, souvent post apocalyptique, elle révèle une vision de la réalité qui fait réfléchir sur le regard que l’on peut porter sur ce qui nous entoure, sur notre propre rapport au monde dans lequel on évolue.
Vertigéo ne déroge pas à la règle. Cette société que l’on y découvre tourne autour d’une interminable tâche qui se répète inlassablement, avec un objectif assez vague sur lequel, finalement, au fil des décennies, les travailleurs ne se posent plus trop de question. C’est devenu un système inaliénable, qu’on n’oserait remettre en question sous peine d’être puni par les hommes du chancelier aux ordres d’un mystérieux Empereur que l’on n’a jamais vu… On devine assez vite que derrière cette vision, ces armées d’ouvriers qui se sacrifient au propre comme au figuré, se cache une autre réalité qui remettrait tout en cause.
Il suffit d’avoir lu des ouvrages comme Transperceneige, 1984… pour comprendre que cette histoire s’inscrit dans une tradition littéraire bien particulière, des réquisitoires sans appel qui dénoncent un rapport grippé avec tout ce qui nous entoure. La vérité est ailleurs, sous les couches d’idéaux, de dogmes mal digérés.

Ainsi, si Vertigéo ne propose pas une intrigue générale très originale, elle permet néanmoins d’amener une lecture qui fait réfléchir, une nouvelle fois. En contre partie, l’écriture de Lloyd Chéry (et donc par extension d’Emmanuel Delporte) ajoute une vraie texture au scénario. Une sorte d’immersion intimiste bouleversante dans l’esprit d’un homme qui vit par cette idéologie, et qui la voit s’effriter petit à petit, sous ses yeux.
Graphiquement, Amaury Bündgen continue sur sa lancée. Et même si on peut préférer ses deux précédents albums, force est de reconnaître qu’il livre des planches d’excellente facture, avec régulièrement des cases très impressionnantes.

Vertigéo est une très belle surprise, le début d’une œuvre en devenir pour Lloyd Chéry, qu’il va falloir surveiller de très près.

Très conseillé.

Par FredGri, le 17 mai 2024

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