Volume 1 à 3

Dans un luxueux hôtel Trois femmes viennent d’arriver, chacune de leur côté. Elles se nomment Alice, Dorothée et Wendy… Elles finissent par se croiser, discuter, et même par se raconter leurs différentes histoires confidences. Leurs complicité va les amener progressivement à en dire plus, à se livrer les secrets les plus inavouables et petit à petit vouloir réaliser des fantasmes sexuelles ensemble.
Mais toutes trois ont jadis vécu, petites, la découverte de la sexualité comme une véritable transformation, les amenant à se créer un univers fantasmagorique bourré de symboles…

Par fredgri, le 25 mai 2014

Notre avis sur Volume 1 à 3

Quand Alan Moore aborde un thème ou un genre, il en explore déjà les fondements, ce qui le définit et surtout le potentiel qu’il peut offrir. Moore est un maître, et en tant que tel chaque choix n’est jamais gratuit, ou tout du moins peut cacher un sens bien particulier.

L’histoire de Lost Girls remonte à 1995 quand Moore et Gebbie se rencontrent à l’occasion d’une commande, une petite histoire de 8 pages à livrer pour un magazine jamais sorti. De fil en aiguille, le projet prend de l’ampleur et très vite il apparait que 8 pages ne seront pas suffisantes. En Novembre 1995 et Février 1996 sortiront deux numéros contenant chacun 3 chapitres, ainsi que des études et autres illustrations inédites à ce jour… Les bruits de couloir ont longtemps circulé sur la reprise du projet par le couple Moore/Gebbie et c’est donc avec une véritable surprise qu’on a vu arriver ce coffret d’un coup, car rien n’avait filtré entre temps… !

Le contenu apparaît tout de suite très chaud, mais aussi assez cérébral, dans le sens ou les 3 héroïnes discutent de leur expériences, se libèrent progressivement et commencent à entrer dans une autre phase de leur existence.

Lost Girls, bien avant d’être simplement un ouvrage pornographique, est avant tout un livre sur l’initiation, sur la découverte et sur la transformation. Alice, l’ainée va ainsi entraîner ses deux autres amies à davantage se libérer et expérimenter toutes les possibilités qui leur sont offertes.
Rapidement, Lost Girls propose un très large panel d’actes sexuels, comme si, pour se libérer, il fallait tout essayer sans retenu… Ce qui donne à l’ensemble une impression de surenchère qui culmine avec la troisième partie ou tous se sautent les uns sur les autres, se lèchent, se culbutent sans davantage distinguer qui est qui. On tombe vite dans la grande démonstration avec tout ce qu’il peut y avoir d’excessif en laissant derrière le côté purement humain de ces trois héroïnes qui, pourtant, avaient développé un regard bien à elles dès le début.

Lost Girls se découpe donc en trois "livres" (format original, trois gros albums rassemblés dans un coffret), le ton monte progressivement, de la simple confidence coquine on arrive à un libertinage plus libéré et sans tabou, puis on finit avec des scènes orgiaques sans aucune limite. A partir de cette construction en escalier Moore explore les trois œuvres à la base de ce projet, il les décortique, en extrait la symbolique sexuel (on a longtemps disserté sur le contenu sous-tendu d’Alice, par exemple) et en propose une nouvelle lecture, transformant ainsi ces "innocentes" lectures en véritable plongée dans le fantasme de l’enfance, les inconnus, les jeunes hommes, les galipettes dans la grange ou dans le parc, les fêtes lesbiennes etc. On trouve déjà tout ce qui va être exploré plus tard dans les pages de cet album. Moore rajoute à ça une "étude" du genre plus vaste, ainsi il pastiche les vieux écrits libertins, les revues qu’on se passait sous le manteau, contenant une pornographie complètement débridée. Ce qui permet déjà de se rendre compte que cette histoire avec ces trois personnages n’est peut-être qu’un vague prétexte, que tout intègre un ensemble plus profond, une sorte de quête initiatique permettant d’analyser les moeurs, les pratiques diverses, de montrer la voie vers une sorte de libération des idées, comme pour désacraliser l’idée qu’on se fait du corps et de ses limites.

Mais ce qui est important aussi c’est de se rendre compte aussi que Lost Girls est avant tout un ouvrage vu par des femmes qui s’adressent principalement aux femmes, je veux dire que jusqu’ici la pornographie s’adressait majoritairement à un spectateur masculin, avec tout ce qui suit comme fantasme sur la femme véhiculé par une sorte de machisme dominant. Ici, on reste dans ce cercle, cette trinité féminine qui tient les rênes de ses obsessions et qui veut en découvrir d’autres.
Gebbie a beaucoup fréquenté les milieux lesbiens (ses premières oeuvres ont été publiées dans des publications homo) et elle a souhaité que cet album s’adresse avant tout à un public féminin, ne serait-ce que pour trancher avec la dominance masculine du milieu. Avec cette nouvelle optique, Lost Girls prend aussi un nouveau visage, plus intime encore, presque plus précieux et sincère.

L’époque ou se déroulent les évènements est une période de grands changements sociaux et culturels, le monde se transforme, il s’abstrait d’un tas de vieux principes pour entrer dans un age moderne intense ou foisonnent les idées, ou les barrière s’abattent, mais surtout ou la guerre pointe le bout du nez. Ainsi, en parallèle à ces bouleversements, Alice, Wendy et Dottie se retrouvent en 1913, dans ce palace et se métamorphosent pour se libérer de ces carcasses qui les retiennent depuis ces livres, elles sont adultes maintenant et nous allons découvrir quelles femmes elles ont pu devenir depuis.

Moore a touché pratiquement tout les genres et il s’est chaque fois servi de ces règles pour les extrapoler et proposer un travail très poussé qui va bien souvent au delà du genre lui même, vers quelques chose de profondément humain (que ce soit V pour Vendetta, From hell ou Watchmen, il explore un regard sur le monde, la destinée d’hommes en marge d’une société). Peut-être se sert il trop, à un moment donné dans Lost Girls, de ces questionnements pour entrer dans de la démonstration trop "démonstrative" justement, que le sens perd du terrain pour juste devenir des scènes de fornication gratuite et expiatoire. Toujours est-il que le lecteur devient vite un banal spectateur qui ne peut qu’essayer de compter les jambes, les bites et les bouches qui se croisent et décroisent au grès des pages. D’autant qu’on a droit aussi à toute une série de pastiches réellement très hard et que dans cette logique de tout explorer, les sujets plus délicats comme la pédophilie ou la zoophilie sont balancés sans prévenir dans la masse et du coup on en viendrait parfois à se poser la question sur la pertinence.
Mais de toute façon ça n’est pas si choquant en soi, on est dans un ouvrage pornographique et en tant que tel les justifications ne sont pas toujours nécessaires. Néanmoins, à trop vouloir en faire…

Dernier point, pour conclure. Le graphisme. Melinda Gebbie n’a pas un graphisme super précis, mais chacune de ses planches est un véritable plaisir des yeux. Elle aborde une multitude de styles, elle parodie les illustrations des vieux contes grivois, les peinture Art Nouveau, les gravures libertines etc. C’est incroyable, on sent qu’elle s’est magnifiquement impliquée dans cet album. En soi, c’est la découverte majeure de ce Lost Girls et rien que visuellement cela vaut déjà amplement le coup !

Un coffret, peut-être, à ne pas mettre entre toutes les mains, mais en tout cas qui fera référence !

Par FredGri, le 25 mai 2014

Publicité